L’appétit vient en mangeant

C’est du moins ce que l’on a coutume de dire, malgré une célèbre blague attribuée, je crois, à Porthos, l’un des Trois Mousquetaires, qui aurait dit, avec un accent gascon impayable : « deux heures que je mange, et l’appétit ne vient toujours pas ». C’est un peu ce qui semble pourtant se produire dans la région de Koursk avec l’incursion des troupes ukrainiennes sur le territoire de la Russie, dont les objectifs précis n’ont jamais été révélés jusqu’ici. C’est tout juste si les autorités de l’Ukraine reconnaissaient être passées à la contre-offensive, jusqu’à un passé récent.

De leur côté, les Russes, qui n’ont jamais reconnu officiellement être en état de guerre avec leur voisin, préférant parler « d’opérations militaires spéciales », feignent de considérer cet épisode comme un raid terroriste et ont décrété un état d’urgence dans les régions de Koursk et de Belgorod. Une mesure notoirement insuffisante pour contrer l’offensive menée par Kiev, qui engrange les succès militaires et la conquête de nombreuses localités sur le territoire russe. Pas de quoi cependant faire croire à l’invasion massive d’un territoire immense, un objectif sur lequel Napoléon ou Hitler se sont cassé les dents, mais suffisant pour permettre au président Zelensky de proclamer la constitution d’une « zone tampon », qui abriterait des couloirs humanitaires pour évacuer les populations civiles de la zone des combats, et empêcherait les Russes d’utiliser massivement leur artillerie à partir de cette région. Les Ukrainiens ont fait plusieurs coups avec cette unique pierre, et peuvent se targuer d’avoir infléchi le cours de la guerre, même s’il est encore trop tôt pour en tirer des conclusions définitives.

Pour commencer, la mécanique d’un rapport de force imposé par la puissance de feu russe, qui semblait mener inexorablement à un grignotage territorial lent, mais constant, a été remise en question. L’Ukraine démontre sa capacité à résister, mais aussi à surprendre, exploitant les faiblesses d’un système bureaucratisé où tout dépend du chef suprême. Aux yeux des Occidentaux et dans la perspective de l’élection américaine, cet épisode justifie que l’on continue à soutenir les efforts d’un peuple qui résiste aussi vaillamment à l’envahisseur en retrouvant un élan qui aurait tendance à s’émousser avec le temps. L’opinion publique ukrainienne devrait être confortée et remobilisée derrière ses dirigeants, avec cet espoir d’aboutir un jour à une négociation de paix sur des bases équitables, appuyées par une meilleure situation sur le terrain. Et quelle meilleure monnaie d’échange qu’une partie intégrante de la Russie, qu’aucun dirigeant ne pourra abandonner sans perdre la face ? On remarquera au passage que les menaces de représailles nucléaires au cas où les « intérêts vitaux » de la Russie seraient menacés ont disparu du paysage du conflit. C’est déjà ça.