Étudiant poil aux dents

Pas grand-chose n’a changé depuis que Renaud, le chanteur énervant selon ses propres dires, dénonçait la société patriarcale que les jeunes perpétuaient à leur corps défendant tout en essayant de la faire évoluer. Tous les gouvernements qui se sont succédé depuis, ont une hantise, héritée de la révolte de 1968, voir la jeunesse descendre massivement dans la rue et entraîner derrière elle la masse des mécontents potentiels. Alors quand la ministre de l’Enseignement supérieur annonce une revalorisation des bourses accordées aux étudiants, une réforme qui était dans les tuyaux depuis belle lurette, on peut y voir ce qu’on veut, sauf une simple coïncidence.

Il est vrai qu’au début de la contestation de la réforme des retraites, les cortèges n’étaient pas composés principalement de jeunes, ce qui est compréhensible, tant la perspective d’une retraite, alors même qu’on n’est pas encore sur le « marché du travail » parait très éloignée. Le temps n’est plus où l’on rentrait dans une administration ou un groupe industriel avec un avenir tout tracé, incluant parfois un avantage de départ anticipé pour compenser de faibles rémunérations, les fameux « régimes spéciaux » tant décriés par certains. Puis le 49.3 est passé par là et a révolté la fibre démocratique d’une jeunesse idéaliste. Le slogan qui revient le plus souvent, c’est : « ma pancarte est toute pourrie, ma retraite le sera aussi », où l’on retrouve l’inventivité habituelle des jeunes. Avec un carton et trois bouts de ficelle, ils peuvent bouger les montagnes et leur élan est communicatif.

Il n’est pas certain que le gouvernement puisse acheter leur neutralité avec un budget de 500 millions, débloqué pour revaloriser les bourses et étendre le nombre de leurs bénéficiaires. Une prime forfaitaire de 37 euros par mois sera allouée aux étudiants boursiers, soit guère plus qu’un euro par jour pour faire face à une hausse massive de l’alimentation, dont les prix ont explosé, et qui sont les premiers sacrifiés par les étudiants. Il est inadmissible qu’en 2023, dans un pays supposé civilisé, l’avenir de la nation n’ait même pas les moyens de se nourrir. Les étudiants ont de plus en plus recours aux associations caritatives, et ils doivent souvent se contenter d’un seul repas journalier. Naturellement, le tableau global misérable recouvre des disparités notables, selon les revenus de la famille, qui peut parfois assurer le vivre et le couvert à sa progéniture. Certains ont aussi la chance de pouvoir compter sur un petit revenu, moyennant un travail à temps partiel. Il y a donc nécessairement des injustices entre les étudiants, qui ne font que refléter les inégalités massives de notre société. À travers des textes qui prétendent établir une certaine égalité entre les citoyens, au nom d’une conception libérale de la société, on ne fait que rafistoler tant mal que bien un tissu social servant de cache-misère à des inégalités fondamentales.