Un traitement de faveur

Les plus fidèles d’entre vous se rappelleront probablement qu’à l’époque où il dirigeait le pays, je considérais Nicolas Sarkozy comme le bienfaiteur du chroniqueur tant il s’appliquait à multiplier les bévues et à proférer des déclarations scandaleuses. Pas un jour ne passait sans son lot de sujets d’indignation ou de ridicule. Il semblerait qu’Emmanuel Macron ait décidé de relever le défi. L’année 2019 part ainsi sur les chapeaux de roue avec l’arrestation musclée et la mise en garde à vue d’une des figures marquantes du mouvement des gilets jaunes, Éric Drouet.

Alors que la contestation semble faiblir et que le pouvoir aurait pu attendre tranquillement qu’elle s’éteigne gentiment, cette arrestation prend le risque inutile de relancer la colère populaire et de créer de toutes pièces un héros ou un martyr, autrement dit, tout ce dont le Président a le moins besoin en ce moment. Mr Macron considérait le mouvement de contestation comme légitime tant que les sondages le soutenaient et se gardait bien de toute attaque contre ses représentants. Visiblement, il juge que ses adversaires sont suffisamment diminués pour exercer une sorte de représailles et se venger des humiliations subies, sous forme de huées notamment. Conciliant avec les forts, impitoyable avec les faibles, telle pourrait être sa devise.

Comprenez-moi bien. Je ne partage pas la « fascination » de Jean-Luc Mélenchon à l’égard du chauffeur routier au gilet jaune, car elle me fait penser à celle de l’oiseau pour le serpent qui ne pense qu’à l’attirer, en oubliant tout sens critique. Mélenchon s’amuse de l’homonymie avec Jean-Baptiste Drouet, le révolutionnaire qui contribua à l’arrestation de Louis XVI à Varennes. Il aurait pu également faire le rapprochement avec la comédienne Juliette Drouet, qui fut la compagne de Victor Hugo pendant un demi-siècle, ou l’enfant prodige, Minou Drouet, dont le talent précoce pour la poésie fut remis en cause par une critique incrédule. Quel enseignement en aurait-il tiré ? Alors que le mouvement des gilets jaunes s’applique depuis le début à refuser toute forme de hiérarchie, allant jusqu’à dénier le statut de porte-parole ou de représentant à tous ceux qui ont acquis une certaine notoriété parmi eux, le pouvoir, par cette arrestation maladroite, vient offrir sur un plateau une célébrité nationale et une forme de légitimité à Éric Drouet qui n’en demandait pas tant. Si son but était de faire parler de lui, il aura été exaucé au-delà de ses espérances, et le président aura perdu une belle occasion de ne rien faire qui puisse se retourner contre lui. Et cela au moment même où l’affaire de son favori, Alexandre Benalla, rebondit et met en lumière le traitement de faveur, dit cette fois sans ironie, dont il bénéficie.