La beauté cachée des laids

Faudra-t-il réécrire la chanson de Gainsbourg, qui savait pourtant de quoi il parlait, puisque l’homme à la tête de chou comme il se surnommait lui-même avait séduit les plus belles femmes de son époque ? La question se pose sérieusement quand on apprend que la maison d’édition anglaise Puffin a jugé indispensable de « corriger » les textes de Roald Dahl pour les rééditer en 2022 sans risquer d’y laisser des expressions pouvant être considérées comme offensantes par telle ou telle catégorie de la population.

Il a fallu embaucher une escouade de relecteurs pour traquer ces expressions et introduire des formulations non genrées aussi souvent que nécessaire. Le mot « laid », ou plus précisément « laide » a donc été banni, ainsi que celui de gros, trop stigmatisant, et remplacé avantageusement par le terme « énorme ». C’est peut-être un détail pour vous, mais tous ceux qui sont en surpoids et ne veulent pas être traités d’obèses ne se sentiront plus visés, comme Obélix, qui prétend être « juste un peu enveloppé » et surtout pas gros. Selon The Telegraph, des centaines de changements ont été nécessaires pour ne pas heurter la sensibilité du jeune public qui lit ces ouvrages. Les « lecteurs de sensibilité » ont particulièrement traqué les expressions telles que petits hommes, devenus des petites personnes, ou les « hommes-nuages » remplacés par des « gens-nuages ». On peut y voir une nouvelle manifestation du « politiquement correct », version 2022. Il y a quelques années, il avait fallu rebaptiser le roman policier le plus vendu au monde, « dix petits nègres », en « ils étaient dix ». Agatha Christie a dû se retourner dans sa tombe, ainsi que Boris Vian, alias Vernon Sullivan, qui avait mis en scène ses personnages dans la pseudo-traduction de « j’irai cracher sur vos tombes », censuré à l’époque.

Pour mon goût, ces réécritures relèvent d’un ridicule achevé confinant au délire et je me réjouis que Gallimard jeunesse en France n’aie pas emboité le pas à cette initiative anglaise. Les ouvrages sont le reflet de notre époque. Il peut être utile de les contextualiser comme dans cette réédition de Mein Kampf où figure le texte original, soumis à un commentaire contradictoire pour éclairer le lecteur. Mais la censure ne résout aucun des problèmes auxquels elle est censée répondre. L’ouvrage inédit de Louis Ferdinand Céline, retrouvé après une longue disparition, « Guerre » est un exemple de texte discutable, mais utile à la compréhension de l’époque de son auteur. Sa publication en 2022 a donc été bien venue, et dans une version intégrale. Si l’on devait relire tous les ouvrages, notamment ceux à destination de la jeunesse, à l’aune de nos critères actuels de respect des communautés de tous types, la tâche serait colossale, voire impossible.