Seul le prononcé fait foi

Si, comme moi, vous aviez loupé volontairement les vœux du Président de la République pour 2023, afin de ne pas gâcher votre soirée, ni gaspillé dès le premier jour du reste de votre vie vos réserves d’indulgence, vous avez droit à une séance de rattrapage en consultant le site de l’Élysée, dans lequel figure en bonne place, le texte de l’allocution diffusée à 20 heures le 31 décembre. C’est ce que j’ai fait en m’infligeant ce pensum, léger sacrifice pour qui veut traiter avec une certaine impartialité l’actualité de son pays.

C’est donc là que j’ai découvert la mention citée en exergue, selon laquelle « seul le prononcé fait foi », écrite en rouge pour bien la distinguer du texte proprement dit, et qui n’est évidemment pas destinée à être prononcée par le président. Ce qui m’amène à penser qu’en réalité seul ce qui est tu, témoigne de la pensée présidentielle et que le non-dit est le plus important. D’ailleurs, Emmanuel Macron lui-même nous suggère cette piste en évoquant ses vœux de l’année précédente, qui ne contenaient aucune allusion aux faits les plus importants de l’année qui s’annonçait. Avec une candeur surprenante, le chef de l’état énonce les évènements qui ont échappé à sa supposée sagacité : la guerre en Ukraine, le dérèglement climatique, la crise économique, l’inflation, etc. puisqu’il n’a rien vu venir, il en déduit que ces évènements parfaitement prévisibles n’auraient pu être prédits par personne, faisant ainsi la preuve de son aveuglement, alors que l’on attend d’un dirigeant qu’il pare à toute éventualité et non qu’il recolle la vaisselle cassée.

Si le prononcé est seul à compter, c’est la preuve indirecte que le président se réserve le droit de modifier le texte du discours jusqu’à la dernière seconde, voire d’improviser totalement en s’écartant du contenu prévu, et indique probablement que c’est lui, et lui seul qui l’a rédigé. La plupart des hommes politiques ont recours à des rédacteurs professionnels, des « plumes », chargés d’écrire les discours sur les indications précises qu’ils leur fournissent. Le film Quai d’Orsay montre ce travail de réécriture imposé au « nègre » jusqu’à ce qu’il corresponde aux désirs du chef, en l’occurrence le personnage inspiré par Dominique de Villepin pour son fameux discours à l’ONU. L’orgueil démesuré du chef de l’état lui fait croire que nul ne peut mieux exprimer sa pensée, sinon lui-même, et il écrit apparemment ses discours, ce qui explique un style ampoulé, truffé d’expressions désuètes, qu’il imagine brillant. Le résultat en est qu’il ne sait pas faire court et que ses allocutions se perdent dans l’ennui. C’est le gros avantage de l’écrit. Il permet de parcourir à son gré, de picorer au hasard d’une formule, de se faire une idée générale sans devoir s’infliger l’écoute in extenso d’un mot-à-mot où se perd souvent le sens, si tant est qu’il existe. À part ça, bonne année à tous !