Hors-la-loi

Et fiers de l’être. Si ces deux aventuriers ont bravé les interdits et se sont mis en scène en bivouaquant au sommet du Mont Blanc à seule fin de montrer leur exploit à la face du monde sur YouTube, c’est pour une excellente cause : leur notoriété personnelle. Car c’est une caractéristique de notre monde moderne. Désormais, il n’est pas toujours nécessaire de rechercher les délinquants. Le travail de la police en est grandement facilité puisque les auteurs de faits répréhensibles se dénoncent eux-mêmes et le font savoir publiquement. Plus ils sont vus par des témoins à la limite de la complicité les observant enfreindre les règles de la loi, plus ils sont contents, ainsi que leurs sponsors, qui financent leurs coupables activités.

À propos de Marguerite Duras, le regretté Pierre Desproges indiquait : « elle n’a pas écrit que des conneries, elle en a filmé aussi ». Les deux zozos qui ont repoussé les frontières de l’inutile en plantant leur tente au sommet du Mont Blanc n’ont pas manqué d’immortaliser la scène d’un intérêt plus que discutable, en se filmant pour apporter la preuve de leur délit. Une bagatelle qui est quand même passible d’une amende de 150 000 euros et d’une peine de prison de 3 ans depuis qu’une loi a réglementé en 2020 les activités dans le massif. Les professionnels de la montagne défendent généralement une pratique la plus libre possible, mais on a vu se développer des excès ahurissants, comme l’abandon d’un rameur sur les sommets, sans compter de nombreux déchets abandonnés par de soi-disant alpinistes, en réalité de vrais gougnafiers. Je me permets de suggérer quelques qualificatifs au maire de Saint-Gervais, qui a porté plainte contre eux en les désignant sous le terme d’individus, ou d’hurluberlus, ce qui est plutôt indulgent vis-à-vis de ces bachibouzouks, ces malotrus, voire ces crétins des Alpes.

Leur naïveté est cependant déconcertante. Les duettistes sont apparemment conscients des risques de pollution de la nature et de la nécessité d’une réglementation… pour les autres. Car, en ce qui les concerne, Dupont et Dupond considèrent que hors-saison, leur bon plaisir et la promotion des marques qui les financent passent largement au-dessus des restrictions imposées au vulgaire, au petit peuple. Je passerai sur le risque qu’ils ont pris pour eux-mêmes en se mettant en situation de devoir mobiliser des secours en cas de souci imprévu, mais pas sur celui qu’ils ont imposé à la collectivité, si elle avait dû risquer la vie de sauveteurs pour aller les chercher. Tout ça pour flatter l’ego de Rivoire et Carré afin qu’ils se vantent d’une performance qui n’a rien d’inédit, car déjà réalisée avant l’interdiction édictée par la loi. D’ailleurs, l’audience de leur chaine YouTube, sobrement intitulée « instinct sauvage » n’a vraiment décollé que depuis la plainte déposée contre eux, ce qui risque de leur coûter un peu cher, ainsi qu’aux sponsors, assez peu ravis de la publicité ainsi créée.