La carte, le territoire et la frontière

Dans son roman récompensé d’un prix Goncourt en 2010, l’écrivain Michel Houellebecq se servait de la distinction rendue célèbre par Alfred Korzybski, selon laquelle un territoire ne peut se résumer à la carte censée le représenter. Il me semble qu’il serait utile d’y ajouter la notion de frontière qui délimite ce territoire. D’autant plus que le « penseur » vient d’en franchir une, à mon sens, celle qui sépare le domaine de la liberté d’expression de celui des propos racistes et diffamatoires à l’occasion d’un entretien avec Michel Onfray, publié récemment dans la revue « Front populaire », dont le titre est à lui seul un vol qualifié des idéaux de 1936.

Michel Houellebecq ne porte pas les musulmans dans son cœur, ce qui est son droit. Il tient à le faire savoir, notamment en utilisant le subterfuge de la fiction qui lui permet de stigmatiser une partie de la population, au seul motif de sa religion, dans une œuvre romanesque telle que le livre « Soumission », paru en 2015, où il imagine une France dirigée par un président musulman. Les Français sont attachés à la laïcité, et tiennent à la liberté fondamentale de penser et de le faire savoir. Toutefois, s’il est permis de critiquer toutes les religions, si le délit de blasphème n’est pas inscrit dans notre code pénal, il est interdit de discriminer les individus au seul titre de leurs convictions religieuses. La loi de 1905, si elle sépare clairement le rôle des églises et de l’état, garantit à chacun la liberté de croire ou de ne pas croire, et pratiquer son culte.

La grande mosquée de Paris a décidé de porter plainte contre Michel Houellebecq à cause de propos tendant à inciter à la haine raciale. Il évoque l’hypothèse selon laquelle des « Français de souche » pourraient s’armer pour réagir contre les musulmans, pratiquer des attentats contre les mosquées ou des bars fréquentés par des musulmans, des « Bataclans » à l’envers, en quelque sorte. Plus loin, il imagine que la population française souhaite, non que les musulmans s’assimilent à elle, mais « qu’ils cessent de les voler et de les agresser » ou qu’ils s’en aillent. Cette opposition et cette généralisation devraient tomber sous le coup de la loi, au même titre qu’une discrimination en fonction de la couleur de la peau, les préférences sexuelles, etc. Michel Houellebecq démontre qu’on peut être un grand écrivain tout en raisonnant comme une bascule et en pensant comme un idiot. Je ne dirais pas comme Françoise Hardy que j’ai honte d’être Français, mais je préférerais que Michel Houellebecq ne fasse pas partie de ma communauté. Plutôt qu’une simple amende, la déchéance de nationalité, en compagnie de quelques autres tels qu’Éric Zemmour, qui ne cache même plus ses préjugés à l’encontre des footballeurs noirs en équipe de France, me parait la sanction la mieux adaptée.