Deux poids, deux mesures

« Un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne. » On se souvient de cette fameuse sortie de Jean-Pierre Chevènement, qu’il a lui-même mis en pratique à trois reprises en 1983 puis en 1991 et en 2000, pour pouvoir exprimer ses désaccords avec les différents gouvernements auxquels il a appartenu. Cette formule est considérée comme l’expression de la solidarité gouvernementale et elle est invoquée chaque fois qu’un ministre est mis en difficulté. Édouard Philippe, l’ancien premier ministre, n’a, quant à lui, ni démissionné ni encore moins fermé sa gueule, quand il s’est rendu avec une semaine d’avance à la convocation de la Cour de Justice de la République.

Un an après Agnès Buzyn, ministre de la Santé pendant la crise du Covid 19, et qui a écopé d’une mise en examen pour sa gestion de la pandémie et une mise en danger de la vie d’autrui, Édouard Philippe, lui, est ressorti de l’audition comme simple « témoin assisté » pour les mêmes faits. Pour résumer, le statut de témoin assisté permet d’avoir accès au dossier pour préparer sa défense, mais témoigne d’une suspicion de culpabilité tout aussi forte et ne préjuge pas d’une mise en examen ultérieure. Le terme de témoin introduit cependant dans le public une notion d’innocence qui n’y est pas contenue. Cette décision est incompréhensible, notamment pour l’association de victimes Coeurvide 19, à l’origine de la plainte. Il parait évident que si Agnès Buzyn était consciente des risques que faisait courir cette épidémie et qu’elle a, comme elle l’affirme, tiré la sonnette d’alarme, le Premier ministre ne pouvait pas ne pas être au courant, pas plus d’ailleurs que le Président de la République lui-même. Agnès Buzyn, qui a le sentiment justifié d’avoir été lâchée en pleine campagne, remplacée par Olivier Véran, et envoyée en mission suicide pour tenter de conquérir la capitale, a clamé haut et fort qu’elle avait alerté très tôt tout le monde.

Sans doute a-t-elle eu le tort de le faire en privé tout en continuant à proférer publiquement des mensonges éhontés sur la maladie et les moyens de s’en prémunir. C’est ainsi qu’elle a justifié l’absence de masques par leur inutilité supposée, au lieu de dénoncer l’impéritie de la structure et engager une lutte plus efficace. L’avenir nous dira si elle sera la seule victime collatérale de ce fiasco collectif. La composition même de la CJR, majoritairement composée de parlementaires, fait peser un doute sur l’impartialité de cette juridiction, qui doit trancher entre une ancienne ministre sans aucun poids politique à présent, et le leader d’une formation faisant encore partie de la coalition au pouvoir et qui aspire à la magistrature suprême. Quant au président Macron, c’est encore pire, puisqu’il est totalement irresponsable pendant son mandat et ne pourra être jugé qu’a posteriori, et après avoir épuisé, comme Nicolas Sarkozy, à la fois tous les recours juridiques et la patience des Français.