Le dîner de cons

Vous connaissez le principe, immortalisé par un film en 1998, lui-même adapté d’une pièce de théâtre à succès par son auteur, Francis Veber. Il s’agit, pour une bande d’intellectuels parisiens, de dénicher un « con » qui deviendra, à son insu, la victime des railleries et des moqueries de l’assistance au cours d’un dîner en ville donné par un des complices, pendant lequel le « con » pourra afficher l’étendue de sa bêtise supposée. Celui qui amènera le spécimen le plus spectaculaire aura gagné, et tout ce petit monde se délecte de pouvoir se moquer des « cons » en toute impunité.

Le mystérieux dîner donné à l’Élysée mercredi dernier avec notre argent pour régaler une poignée de ministres et de ténors de la majorité, me parait faire partie de cette catégorie des dîners de cons, avec la particularité de ne pas permettre aux cochons de payants de participer, même furtivement, aux agapes présidentielles. Car les « cons », qui payent pourtant les violons du bal, étaient totalement absents du festin présidentiel, ce qui n’a pas empêché les barons du pouvoir, entre deux crustacés, de lever leur verre à leur santé, car il faudra en avoir, une bonne santé, pour espérer profiter de sa retraite avant de passer l’arme à gauche. Ce banquet était avant tout destiné à resserrer les rangs autour du Président, qui a enfin pris une décision pour contourner le mécontentement autour de la réforme sur les retraites. Macron persiste et signe, la réforme se fera, coûte que coûte, et il brandit la menace de la dissolution nucléaire pour convaincre les récalcitrants, au risque d’ouvrir un boulevard au Rassemblement national.

L’argument massue d’Emmanuel Macron consiste à se réclamer d’un supposé mandat impératif des électeurs qui ont voté pour lui, sous prétexte que cela ferait partie d’un « package » annoncé aux Français pendant la campagne. Pour filer la métaphore, les élections seraient comme un restaurant à prix fixe, dans lequel on ne servirait que le menu, sans aucun choix possible entre plusieurs plats, même quand on a déjà payé par avance un supplément. Et pas question de ne pas finir son assiette, au risque d’overdose de casse sociale. Alors que les électeurs préfèreraient largement pouvoir manger à la carte, plutôt que d’ingurgiter, bon gré mal gré, des pavés indigestes qui lui restent sur l’estomac. Cette fameuse réforme des retraites, que l’on a mise à toutes les sauces, loin d’être plébiscitée par les principaux intéressés est rejetée à 71 % par les Français, qui la trouvent passablement saumâtre. Même un orgueilleux comme le gargotier de l’Élysée qui se prend pour un chef étoilé, pourrait avoir la décence de consulter le client sur le repas qu’il souhaite manger, puisqu’il finit toujours par en régler l’addition.