Un colosse aux pieds d’argile

Je ne voudrais pas me réjouir trop vite, mais un certain nombre de signes concordants font apparaître que la position de Vladimir Poutine est loin de la confiance et l’assurance affichées par le maître du Kremlin. Au moment où les résultats de la consultation des populations des territoires conquis par l’armée russe tombent et font état de scores sans la moindre crédibilité en faveur du rattachement, les signes de l’affaiblissement du pouvoir se multiplient. Pour la première fois, des erreurs ont été reconnues, dont quelques lampistes devront payer les frais.

La contre-offensive ukrainienne a été couronnée de succès. Déjà symbolique. La puissante armée russe, qui n’avait pas réussi à conquérir la capitale, Kiev, a été incapable de tenir le terrain dans l’est de l’Ukraine en confrontation directe avec une armée ukrainienne réputée plus faible. Deux raisons principales à cet état de fait : l’aide occidentale en matière d’armements stratégiques et la détermination de l’armée ukrainienne, qui se bat pour son sol et sa liberté. La décision de Poutine de procéder à une mobilisation partielle de la population russe, outre qu’elle signe un échec militaire et un aveu de faiblesse, pourrait paradoxalement aggraver la situation de l’armée russe. Les renforts attendus ne sont pas formés et ne seront pas opérationnels avant longtemps, et surtout ils ne sont pas motivés pour combattre un peuple frère au nom d’une cause obscure. De nombreux jeunes hommes en âge d’être enrôlés ont préféré quitter leur pays pour éviter de mourir au front, et ceux qui n’osent pas déserter ne sont pas plus convaincus pour autant.

La dernière fois que l’armée russe, soviétique à l’époque a subi des revers militaires, c’était en Afghanistan, et la conséquence indirecte en a été l’éclatement de l’empire de l’URSS, la chute du rideau de fer, la fin du mur de Berlin, et l’humiliation des partisans de la grande Russie. Vladimir Poutine fait partie de ces nostalgiques de la grandeur de la Russie, et toute sa stratégie est guidée par cet objectif. Sa cause lui a valu une certaine popularité dans l’opinion publique, et il a réprimé sans pitié toute tentative de faire valoir une position divergente. Tant qu’il s’agissait de journalistes ou d’oligarques dissidents, il ne risquait pas grand-chose à les interner dans des camps à régime sévère, ou à les faire assassiner. Mais il sera beaucoup plus difficile de faire taire les « babouchkas » qui réclament au moins les corps de leurs enfants et petits-enfants, disparus dans un conflit qui n’est pas le leur, pour une cause dans laquelle elles ne se reconnaissent pas. Le risque, c’est que l’autocrate russe préfère déclencher un conflit nucléaire plutôt que de perdre la face, et saborde son propre pays en le sacrifiant sur l’autel de son orgueil personnel.