Le temps des cerises

Qu’elles soient bigarreaux, burlat, reverchons, ou griottes ou encore amarelles, celles que je préfère ce sont les guignes. Ces petites cerises, acidulées si on les consomme avant d’être très mûres, mais pouvant devenir très sucrées, qui ont en effet bien voulu cette année, honorer mon jardin de quelques spécimens charnus.

Elles ont bien voulu décorer un guignier transplanté de mon Poitou natal, où l’on trouve cette variété un peu partout, car sol et climat doivent lui convenir. Avec précaution, pendant quelques jours, « j’ai descendu dans mon jardin » pour les déguster presque une par une, leur rareté les rendant précieuses, je souhaitais prendre mon temps pour les manger ! Les merles moqueurs de la chanson ayant « trouvé l’adresse », en une matinée ont ravagé ma petite récolte ! dommage, de toute façon je n’en avais pas assez pour faire ces fameux clafoutis traditionnels que réussissait si bien ma mère et dont j’ai encore le goût des noyaux en mémoire. Il faut savoir partager, les quelques fruits sauvés ont soulevé en moi une vague d’émotions, me renvoyant de très longues années en arrière, où petite fille, avec mes sœurs complices, on ravageait régulièrement la guigneraie dans le champ jouxtant notre maison… quelques coliques ont bien dû suivre, peu importe, c’était une vraie récréation. Pourtant, dans notre propre jardin, un superbe cerisier burlat aux grandes branches accessibles, nous donnait à foison tous les ans des fruits magnifiques, dont on avait l’autorisation de profiter… mais pas trop…. Mon père ayant la fâcheuse habitude de nous en déloger avec le tuyau d’arrosage quand il estimait que l’on compromettait sa récolte… mais dans les guigniers pas de censure, c’était la pleine liberté !

À partir de cet événement qui peut paraître banal à beaucoup, j’ai fait le tour du jardin et j’ai trouvé ça et là des indices de mes racines et de mon histoire que j’avais consciemment ou non installés. Bien sûr, les deux cerisiers, début de mon histoire, ont emporté avec eux un peu de la terre de la Pocterie, propriété de ma grande sœur Poucette, les cyclamens un peu capricieux viennent du jardin d’Écotion de Gisèle, disparue aujourd’hui. Les rosiers blancs qui ont commencé à enchanter mon ancien jardin, et qui fleurissent sans relâche sous mes fenêtres depuis 25 ans, les trois bouleaux, les noisetiers, les arums dont je suis si fière, souvenir de Juliette ma voisine, tous sont la trace vivante d’un passé pas si lointain auquel je tiens ! 

 À chacun sa madeleine de Proust, la mienne c’est une petite cerise aigre douce, cherchez donc la vôtre…

 La chanson dit : « il est bien court le temps des cerises », c’est vrai au niveau saisonnier puisque ce fruit fragile ne se récolte que de fin mai à mi-juillet, mais pour moi il n’aura de fin qu’avec ma propre mort, car il draine avec lui un peu de mon histoire, des morceaux de vie et des souvenirs qui disparaîtront sans doute avec moi, mais en attendant ils me ramènent à mon enfance et à quelques beaux jours passés…

 En parodiant Jean-Baptiste Clément je peux chanter : « j’aimerais toujours le temps des cerises, c’est de ce temps-là que je garde au cœur, un petit goût du bonheur ».

L’invitée du dimanche