Le Barbier de Corneville

« Habemus prima ministra ! » Après de longues semaines, surtout pour Jean Castex qui n’en pouvait plus, le président s’est donc résigné à nommer officiellement Élisabeth Borne, favorite depuis le début, qui marinait dans son jus en attendant le bon plaisir de Sa Majesté. Tous les éditorialistes politiques ont naturellement commenté cette nomination avec plus ou moins d’originalité, mais la palme revient à mon avis à Christophe Barbier, l’homme à l’écharpe rouge, qui s’est fait une spécialité de l’art divinatoire pour expliquer le comportement des acteurs de la vie politique. Et là, il a fait très fort.

Je vous résume son analyse, si vous l’avez ratée sur la chaîne d’information continue BFMTV hier au soir. En gros, Emmanuel Macron est génial, et les choses se sont déroulées selon le plan soigneusement établi à l’avance. On croirait entendre Vladimir Poutine ! Macron avait prévu depuis toujours de nommer Élisabeth Borne, mais il avait besoin de temps pour amortir l’effet de l’entente à gauche, qui ne l’a bien entendu pas surpris. Au contraire, c’est pain béni pour faire peur aux électeurs modérés et les pousser à l’abstention, condition nécessaire pour trouver une majorité présidentielle reconduite. Christophe Barbier démontre ainsi qu’il n’est pas meilleur journaliste qu’il n’est acteur à l’occasion, en justifiant tout et n’importe quoi au nom du résultat, confondant allègrement les effets et les causes. Une façon de procéder qui permet de tout expliquer après coup sans pouvoir faire le moindre pronostic concernant l’avenir. Cette forme de pensée porte un nom, celui de finalisme, et prétend expliquer le monde par un dessein supérieur qui nous dépasse.

On aura donc toutes les raisons de comprendre le choix du prince, au nom des critères énoncés par lui-même : une femme, au courant des dossiers environnementaux, expérimentée, mais surtout loyale et dépourvue d’ambition. Moyennant quoi, Élisabeth Borne ne fera certes pas d’ombre au chef de l’état, mais ne fera pas rêver non plus, ne donnera pas de souffle nouveau, n’inspirera pas d’espoir supplémentaire et appliquera scrupuleusement les consignes données par la voix de son maître, quitte à endosser l’impopularité des mesures les plus réactionnaires telles que la réforme des retraites. Elle est l’incarnation du corps des hauts fonctionnaires de l’état, sans états d’âme ni convictions politiques, bien qu’elle ait servi parfois des personnalités classées à gauche, et qui pourra jouer, le moment venu, le rôle traditionnel de fusible pour protéger le Président. Un moment qui pourrait advenir plus tôt que prévu, si les législatives ne donnaient pas le résultat espéré par le chef de l’état. Mme Borne se présente personnellement au suffrage universel pour la première fois, et son siège de député serait évidemment éjectable en cas d’échec, improbable dans une circonscription réputée imperdable.