Le mouton à cinq pattes

Encore plus exceptionnel qu’un trèfle à quatre feuilles, un mouton possédant cinq pattes serait l’emblème de la perle rare, réunissant toutes les qualités, parfois contradictoires, en un seul et même individu. C’est donc le prototype de ce que recherche Emmanuel Macron depuis que les Français lui ont, par défaut ou par dépit, renouvelé son bail de cinq ans à la tête de l’état : le Premier ministre idéal. Il en a déjà usé deux avec des fortunes diverses. Le premier, Édouard Philippe, s’est révélé à l’usage plus coriace et ambitieux qu’il le paraissait, car l’appétit vient en mangeant.

Malgré les apparences d’une loyauté sans faille, l’ancien Premier ministre a quand même compliqué la tâche du président en contribuant à la crise des gilets jaunes par sa rigidité mentale, et en s’arcboutant sur les 80 km/h. Et voilà qu’il lui a poussé des ailes en vue des présidentielles de 2027, et qu’il entend peser sur les législatives prochaines. Le deuxième, Jean Castex, encore moins connu, semblait donner toutes garanties de ne faire aucune ombre au Président. Au point qu’il aurait voulu retourner dans sa bonne ville de Prades dès le lendemain de la présidentielle, ce qui ne lui a pas été accordé par Emmanuel Macron, peut-être parce qu’il n’a toujours pas trouvé son remplaçant. Il faut dire que l’affaire n’est pas simple. Il faudrait de préférence une femme, ayant la fibre écologique, mais « Macron compatible », ce qui est en soi un oxymore, vu le passé du président avant l’opération « green washing ». Quelqu’un ayant la stature d’homme d’état, mais dénué d’ambition, prêt à sacrifier sa vie personnelle pour l’enfer de Matignon, le tout pour la gloire, toute relative, de défendre des positions qu’il n’a pu décider en rien.

Deux personnalités auraient déjà refusé le poste, ce qui est démenti par l’Élysée. La première, Véronique Bédague, dirige un grand groupe immobilier et compte bien continuer. La seconde, Valérie Rabault, préside le groupe parlementaire PS à l’Assemblée nationale et aurait donc été une « prise de guerre » faisant pendant aux débauchages incessants de Macron dans le vivier de droite. Il reste encore heureusement des personnalités politiques ancrées sur des convictions auxquelles elles restent fidèles. D’autres noms ont circulé, tels que Élisabeth Borne, Nathalie Koscusko-Morizet, Christine Lagarde ou même Nicole Notat, pour ne citer que des femmes. Aucune ne semble correspondre parfaitement au portrait-robot décrit par le président, à supposer qu’elles acceptent ce poste ingrat. Finalement, les Français pourraient mettre tout le monde d’accord en votant pour les candidats de gauche et en imposant au président fraîchement réélu une cohabitation. On imagine la scène entre Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon comme dans « certains l’aiment chaud », où ce dernier, ôtant sa perruque, lui révèlerait qu’il n’est pas une femme, et le président lui répondrait : « personne n’est parfait ! »