Des goûts et des couleurs…
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le dimanche 1 mai 2022 10:21
- Écrit par L'invitée du dimanche
Ça ne se discute pas, dit le proverbe ! Puisque les choix faits ne sont pas rationnels, il est donc inutile de chercher à persuader son interlocuteur que les nôtres sont les meilleurs, discutons-en quand même, car il reste la question essentielle : comment se forme le goût de chacun ?
Pour Bourdieu*, nos goûts, nos styles de vie sont déterminés par notre position sociale, il y a une hiérarchie des goûts. Dans le sport par exemple, le tennis, le golf, la voile sont pratiqués par les classes supérieures, les classes populaires se tournent plus généralement vers le foot. Il en va de même pour l’habillement, l’alimentation, la lecture, la culture. Autant d’indices qui peuvent très vite situer votre interlocuteur dans sa classe sociale, il y a un goût « légitime » qui devient « un goût de chiotte » quand on s’en écarte.
En dehors de cet aspect social, il est très étrange de voir comment les critères du bon goût peuvent évoluer, c’est évident dans le domaine artistique… qui fut plus décrié que Manet, précurseur de l’impressionnisme, Dali et le surréalisme, Picasso et le cubisme, qui ont fini par accéder au temple du bon goût, la tour Eiffel n’est-elle pas devenue admirable ? La démonstration serait valable pour la musique et toutes les autres activités artistiques… et aussi dans les codes de l’urbanisme.
Dans ce domaine particulier, je suis frappée de constater, rien que dans mon petit village, l’uniformité des maisons construites récemment. À l’extérieur, on retrouve les mêmes clôtures, les mêmes barrières, les mêmes couleurs grises ou noires, et l’habitation elle-même, montre des grandes baies en recherche de lumière, des toitures plates ou en terrasse…
À l’intérieur, des cuisines semi-ouvertes, un îlot central, une suite parentale, une chambre pour enfant… dans le salon, des matières naturelles, des plantes dépolluantes… autant de détails qui permettront de la dater dans quelques années, tout comme on peut dater les habitations d’il y a 15 ans qui appliquaient d’autres critères les faisant aussi se ressembler.
Drôle de phénomène que cette uniformisation collective, qui en est responsable ? Ce n’est pas un simple mimétisme, cela semble correspondre à des goûts communs… derrière cela, se trouvent des agences appelées « bureaux de style », qu’elles s’appellent Pronostyl, Peclers, ou Carlin, travaillant en amont des filières de production, composées d’équipes pluridisciplinaires, créatifs, sociologues, historiens de l’art…, elles scrutent, elles observent et anticipent le comportement du consommateur. Certaines ne se dédiant qu’à la couleur à mettre à l’honneur !!. Elles reniflent, captent l’air du temps plusieurs années à l’avance pour élaborer des carnets de tendances, leurs prévisions sont incontournables pour les entreprises. Leur travail conditionne ce que les marques vont commercialiser, du portail à la fenêtre et aux meubles et qu’ils vont nous vendre sans que l’on réalise que nous sommes victimes de super influenceurs qui ont pensé pour nous !
J’y ai succombé personnellement comme bon nombre de citoyens, je me croyais originale avec les accessoires noirs, « style industriel », ma cuisine gris anthracite, autant de choix que je trouve à mon goût, alors que je ne suis qu’une citoyenne formatée, consternée que mon libre arbitre m’ait été confisqué par des agences qui ont su deviner ce qui pourrait me plaire en 2022 !
Ça devient surréaliste !
L’invitée du dimanche
*Pierre Bourdieu : « La distinction »