Le symbole et le droit

Le président de la République en exercice, Emmanuel Macron, n’a pas une minute à lui pour faire campagne en vue de sa réélection. Il est obligé d’envoyer des sous-fifres, révérence gardée pour son Premier ministre si peu charismatique, pour le représenter auprès de ses partisans afin d’assurer un service minimum. Il a cependant trouvé un instant pour s’exprimer publiquement sur la mise en berne des drapeaux en Corse pour saluer la mémoire d’Yvan Colonna au moment du retour de sa dépouille dans l’île. Il a qualifié ce geste de faute, et l’a trouvé « inapproprié ».

Pourquoi ? J’imagine que le président considère comme un fait acquis que le militant nationaliste est coupable du meurtre du préfet Érignac en 1998, bien qu’il ait toujours nié avoir été l’auteur des coups de feu mortels, et que sa culpabilité n’a jamais pu être démontrée. Techniquement, sa condamnation a été confirmée par toutes les instances juridiques possibles et elle est donc définitive. À moins que. Un fait nouveau, l’absence de preuves, que sais-je, vienne affirmer le contraire, et l’existence d’une erreur judiciaire, mais c’est peu probable. Et cela d’autant moins que le principal intéressé a été tué dans des circonstances qui ne font pas honneur à l’administration pénitentiaire, et contribuent à créer une image de martyr, voire de héros de la cause indépendantiste. Déjà, l’ancien président Sarkozy, ministre de l’Intérieur à l’époque, avait bafoué la présomption d’innocence en annonçant fièrement et sans le moindre guillemet, l’arrestation du coupable après plusieurs années de cavale. Pour une partie du peuple corse et notamment sa jeunesse, qui n’était pas née au moment des faits, Yvan Colonna symbolise l’oppression de l’état central.

Ce peuple viendra lui rendre un dernier hommage aujourd’hui, pour des obsèques dans son village de Cargèse, et sera en accord avec les élus indépendantistes qui ont mis les drapeaux en berne, même s’ils ne souhaitent pas le retour de la lutte armée. Comment un président peut-il condamner cette initiative tout en prônant le dialogue et la recherche d’un accord en vue de l’autonomie insulaire ? En droit, cette disposition n’est d’ailleurs pas illégale, comme le prouve l’absence de poursuites. Les représentants élus peuvent décider de cette mesure sans se mettre hors-la-loi, et ils semblent bénéficier d’un préjugé favorable de leurs administrés, qui considèrent, à tort ou à raison, que Colonna est une figure locale de la marche du peuple corse pour son indépendance, et qu’à ce titre, lui et sa famille ont droit au respect, au moins dans sa mort. Pour l’instant, ce retour n’a donné lieu à aucun débordement, comme on aurait pu le craindre, ni aucun trouble à l’ordre public. Les fauteurs de trouble, s’il en existe, seraient plutôt à rechercher au sommet de l’état, avec un président en total décalage avec le sens de l’Histoire, qui devrait être sa préoccupation permanente.