Le dîner

L’hypothèse d’une candidature d’Éric Zemmour à la présidence en 2022 prend de plus en plus de consistance. L’intéressé ne dément d’ailleurs pas, laissant planer le doute sur ses intentions. Au point d’inquiéter les partisans du Rassemblement national qui craignent que l’éditorialiste d’extrême-droite ne capte trop de voix et empêche Marine Le Pen d’accéder au second tour. D’où cette idée de Robert Ménard, maire de Béziers et proche des deux protagonistes, de les réunir pour tenter de trouver un accord entre eux. Marine Le Pen ne veut pas d’un débat public où elle a tout à perdre. Alors pourquoi pas un dîner ?

Les invitations sont lancées, il ne reste plus qu’à fixer une date, et le menu d’un festin qui s’annonce fastueux. Jamais l’expression de cuisine électorale n’aura aussi bien porté son nom, mais j’ai surtout été frappé par l’association d’idées avec le fameux « dîner de cons » porté à l’écran par Francis Veber. La particularité de ces dîners, c’est que le con du soir ignore qu’il en est le héros. Si jamais le dîner Zemmour Le Pen se confirme, je suis certain que chacun croira que c’est l’autre qui sera le dindon de la farce et sera persuadé de tirer les marrons du feu. J’imagine que les convives seront munis d’une cuillère à longue queue, accessoire indispensable pour éviter de se brûler lorsqu’on mange à la table du diable. Sur le fond, il ne devrait pas y avoir de désaccord entre les protagonistes, mais l’un sera dans la présentation frontale de son programme sectaire, quand l’autre gommera ses aspérités pour attirer les plus modérés. Chacun espère que l’autre sera son « idiot utile ».

Ce dîner, s’il a lieu, pourrait être le pendant du « souper », cette rencontre imaginaire entre Fouché Brasseur et Talleyrand Rich inspirée par une vision de Chateaubriand du « vice appuyé sur le bras du crime ». Difficile d’assimiler les personnages historiques et les personnes contemporaines, aucun des deux ne possédant le monopole du vice ni du crime. Au cours du souper, chacun ne pensera qu’à la manière dont il pourrait tirer avantage de la situation, fut-ce au détriment de l’autre, avec lequel il est prêt à passer un accord pour mieux le trahir ensuite. Les bons duos exigent des caractères contradictoires. Fouché-Brasseur-Le Pen est un personnage rusé, un peu brut de décoffrage, un peu prolo, tandis que Talleyrand-Rich-Zemmour est plus machiavélique, lettré, légèrement aristo sur les bords. Si l’un possède la force brute, l’autre est plus manipulateur. Les deux sont également dangereux à leur manière, mais on les imagine mal réunir leurs forces et leurs styles si différents. Marine Le Pen a tiré son parti vers une droite « présentable », dédiabolisée, quand Éric Zemmour tape le plus fort possible sur ses adversaires que sont les musulmans et les étrangers. Si souper il y a, la carpe et le lapin ne seront pas au menu.