Présumé coupable

Je ne sais pas si Cédric Jubillar a tué sa femme, Delphine, ni même si elle est réellement morte, bien que cette hypothèse reste la plus probable, 6 mois après sa disparition en pleine nuit. Tout ce que nous savons, c’est ce que le procureur de la République a révélé dans sa conférence de presse annonçant la mise en examen du mari pour « homicide sur conjoint ». Une qualification qui suppose une forme de préméditation ou d’organisation alors que l’on ignore tout du déroulement éventuel des faits.

Statistiquement, les crimes commis dans le cadre familial sont souvent effectivement le fait de maris violents. L’avocat de Cédric Jubillar a insisté dès le début sur le risque d’assimiler son client à Jonathan Daval qui a fini par avouer le meurtre de sa femme Alexia après l’avoir nié farouchement. Rien n’indique que les deux cas sont semblables, et Cédric Jubillar a évité de faire trop de déclarations publiques ni de dramatiser excessivement la situation. L’enquête de gendarmerie a consisté à examiner les hypothèses pouvant expliquer la disparition de Delphine Jubillar, et à les rejeter successivement comme peu probables, ne laissant que le meurtre, et non un décès accidentel, ou sous le coup de la passion comme on le disait autrefois, comme possibilité d’explication, malgré l’absence de corps et d’aveux du présumé coupable. Pendant 6 mois, les soupçons des enquêteurs ont certainement porté sur le suspect « naturel » en pareille circonstance, mais ils ne lui ont pas été notifiés, et il est resté libre de ses mouvements.

Brusquement, et sans que beaucoup de faits nouveaux soient apparus, il est devenu nécessaire et urgent de le placer sous mandat de dépôt. Si sa liberté était de nature à influer sur le cours de l’enquête, il a eu tout le loisir de le faire au cours des derniers mois. Ce qui a changé, c’est que les enquêteurs ont acquis la conviction que Cédric Jubillar n’avait pas toujours dit la vérité sur son emploi du temps, ce qui est moralement répréhensible, mais reste un droit pour un accusé, qui peut mentir ou se taire pour ne pas s’incriminer lui-même. Cédric Jubillar n’a pas craqué pendant sa garde à vue et le procureur semble penser que la prison l’amènera à passer aux aveux. J’espère que vous avez compris que je ne défends pas un meurtrier et que je souhaite qu’il soit sanctionné à la hauteur de sa faute le cas échéant, s’il est reconnu coupable. Je veux simplement souligner que la présomption d’innocence me semble ici totalement bafouée, ainsi que le secret de l’instruction puisque le procureur trie les informations à révéler au public. Notre droit permet d’incriminer une personne, et même de la condamner, sur la base d’une « intime conviction », sans preuves matérielles ni aveux, dont on sait par ailleurs qu’ils peuvent être manipulés, et c’est assez terrifiant.