Déni de démocratie

Ce gouvernement est décidément parmi les plus arrogants que la France a connus. Une nouvelle preuve en est donnée par l’examen d’un projet concernant un aménagement du calcul de l’allocation adulte handicapé (AAH) portant le nom barbare de « déconjugalisation ». Il s’agissait d’individualiser l’allocation sans tenir compte des revenus du conjoint éventuel, pour permettre au bénéficiaire de l’aide de toucher l’intégralité des 900 euros prévus actuellement par la loi. Une mesure proposée en commission, sur laquelle l’hémicycle aurait pu se rassembler, y compris certains députés de la république en marche et les alliés de la majorité Modem et Agir.

Mais la doctrine du pouvoir est constante en la matière. Seule la ligne validée par le président peut avoir droit de cité dans les décisions. En l’occurrence, la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées défendait une mesure contenue dans le texte gouvernemental, un abattement forfaitaire de 5000 euros sur les revenus du conjoint, qu’elle juge, à tort ou à raison, plus juste socialement. Le problème est surtout dans la méthode. Pour forcer la main de l’Assemblée nationale, y compris sa propre majorité, divisée sur la question, le gouvernement a eu recours au vote bloqué, c’est-à-dire sans le moindre amendement, sans le changement d’une seule virgule, autre que ceux qu’il aurait lui-même acceptés. Cette procédure est certes prévue par la constitution, mais il est rare qu’elle soit utilisée pour museler le parti au pouvoir. Du temps du Gaullisme triomphant, elle était destinée à souder les rangs des députés « godillots » en évitant la moindre défection. Plus récemment, elle a pu servir à abréger des débats mettant en péril le calendrier parlementaire.

En l’occurrence, le texte soumis au vote de l’Assemblée avait pour principal défaut d’émaner à l’origine d’un groupe parlementaire de l’opposition, Libertés et territoires, du centre gauche, repris par le parti communiste français à l’occasion d’une « niche parlementaire » qui accorde à l’opposition un tout petit espace de proposition. Même ce rogaton de démocratie est encore trop gros aux yeux de la classe dirigeante qui ne veut rien lâcher de son pouvoir discrétionnaire, jusqu’au bout de la mandature. C’est probablement quand même une faute politique qu’il aurait été facile d’éviter en se donnant le beau rôle. Car l’impression donnée est très fâcheuse. Mme Cluzel, la ministre chargée du dossier, a dû se justifier sur son engagement en faveur des personnes handicapées, et le gouvernement donne l’impression de vouloir faire des économies sur le dos des bénéficiaires de l’allocation. L’opposition a beau jeu de souligner que le gouvernement force les adultes handicapés à choisir entre « la bourse et le cœur » selon l’expression de François Rufin, en poussant les intéressés à se déclarer fictivement célibataires pour toucher ce qui devrait être leur dû. Chaque voix comptera aux présidentielles.