Le poisson pourrit par la tête

Ce faux proverbe chinois souvent cité par Jean-Luc Mélenchon signifie que ce sont les dirigeants qui sont à l’origine des problèmes d’une organisation et il se vérifie quotidiennement. J’en veux pour preuve la situation ubuesque ou kafkaïenne, au choix, de la campagne de vaccination en France. Partie sur des bases de pénurie de vaccin par manque d’anticipation du gouvernement français et des instances européennes, voilà que désormais des créneaux de vaccination restent désespérément inoccupés tandis que le gros de la population attend le feu vert pour être protégé.

N’importe qui d’un peu sensé en aurait conclu qu’il fallait adapter l’offre à la demande et ajuster les critères qui ont été appliqués jusqu’à présent. La France a fait le choix de donner la priorité aux personnes les plus susceptibles de développer des formes graves de la maladie, et aussi ceux qui étaient les plus exposés et les plus à risque de diffuser largement le virus du Covid-19. Ce choix était et reste logique, mais il ne doit pas aboutir à un gaspillage de doses ni à un ralentissement du rythme de vaccination, qui commence à être meilleur après un démarrage des plus poussifs. Après avoir été contraint de suspendre la prise de rendez-vous au plus fort de la demande, le site de Doctolib dispose de 280 000 places libres pour les 5 prochaines semaines. Et le professeur Alain Fischer, coordonnateur des opérations refuse d’élargir les critères d’âge, pour accélérer la vaccination, alors que l’on dispose à présent à la fois des doses, des locaux et du personnel nécessaire. Il craint que l’ouverture à un nouveau public se fasse au détriment des populations fragiles encore non vaccinées, alors que le principal obstacle consiste dans la fracture numérique qui empêche ces personnes de prendre rendez-vous et de se rendre dans le lieu de vaccination.

Le gouvernement ne semble pas avoir conscience que c’est une course de vitesse qui est engagée avec le virus, et que les chiffres de l’épidémie, qui ne sont pas bons, ne s’amélioreront que grâce à une accélération de la campagne et une généralisation de la couverture vaccinale. Force est de constater que des initiatives locales permettent de contourner partiellement ces œillères des autorités nationales. De plus en plus de centres de vaccination ouvrent leurs portes en fin de journée à des populations théoriquement non éligibles, sans pour autant diminuer l’accueil des prioritaires. Les élus locaux vont souvent au-devant des personnes âgées pour les aider à prendre rendez-vous. Les listes d’attente se généralisent et permettent de vacciner le public volontaire. Toutes les professions à risque devraient se voir offrir cette possibilité, sans limitation d’âge, de même que ceux qui souffrent de comorbidités. Bref, un peu de bon sens populaire, comme celui dans lequel Érasme a puisé l’adage qui m’a servi de titre, ne saurait être nocif.