Les méchants c’est pas nous

Comme les Américains, qui restent généralement persuadés que par définition ils font partie des « gentils » et qu’ils luttent contre les forces du mal en tous lieux et en tout temps, nous sommes persuadés d’appartenir au camp du « bien », celui des « good guys ». Cela peut entraîner des contradictions comme lorsqu’un éminent historien, Pierre Nora, déclarait récemment qu’il souhaitait que la France commémore le bicentenaire de la mort de Napoléon premier, mais pas le 150e anniversaire de la Commune de Paris.

J’aurais précisément fait le choix inverse, considérant le nombre de morts entraîné par les guerres de conquête de l’empereur, rapporté aux avancées sociales audacieuses de la république éphémère de 1871. J’aurais aimé me bercer de l’idée que hormis ces épisodes lointains, et tout ce qui touche au passé colonial de la France, nous avions toujours fait les bons choix et nous nous soyons trouvés du bon côté dans les conflits internationaux, mais tel n’est malheureusement pas le cas, comme le démontre le rapport remis récemment au président de la République par un groupe d’historiens conduit par Vincent Duclert, qui porte sur le rôle de la France pendant le génocide des Tutsis au Rwanda. Si nous n’avons pas participé aux massacres, nous n’avons pas su les empêcher, et nous n’avons rien fait pour empêcher les responsables de s’enfuir. La responsabilité personnelle du chef de l’état de l’époque, François Mitterrand, y est engagée, au moins dans ce laisser-faire, et la France se grandirait en le reconnaissant. Il me coûte de devoir admettre qu’une certaine gauche n’a pas fait mieux que la droite dans ces affaires, comme le prouve par exemple l’expédition franco-anglaise sur le canal de Suez en 1956 du temps de Guy Mollet, ou la gestion de la décolonisation en Afrique.

C’est dans ce contexte que surgit l’affaire de la frappe aérienne française au Mali en janvier dernier. L’armée, engagée dans l’opération Barkhane, annonce avoir « neutralisé » des dizaines de djihadistes, alors que les habitants dénoncent une bavure qui aurait touché des villageois fêtant un mariage. Il est très difficile de démêler « à chaud » le vrai du faux, mais il n’est pas impossible que les deux thèses apparemment contradictoires soient partiellement vraies toutes les deux. La France nie, naturellement, par la bouche de sa ministre des armées, mais peut-on la croire sur parole ? Ce qui est sûr, c’est que notre pays s’est engagé dans la lutte pour de bonnes raisons, mais se retrouve bien isolé et dans l’incapacité de sortir à court terme de ce guêpier tant que le pouvoir local, seul légitime, sera aussi faible et ne pourra pas exercer son autorité sur un territoire immense et en grande partie désertique.