Indéboulonnable
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le jeudi 18 juin 2020 10:18
- Écrit par Claude Séné
Le général de Gaulle s’est probablement retourné dans sa tombe en entendant Marine Le Pen revendiquer son héritage à l’occasion du 80e anniversaire de l’appel lancé à la BBC pour inciter les Français à continuer le combat contre l’occupant nazi. À peine moins surprenant, le ralliement de toute la classe politique, y compris l’hommage saugrenu de Jean-Luc Mélenchon que l’on a connu moins révérencieux. Au risque de nager à contre-courant, je me dois de nuancer fortement cet éloge, en distinguant très nettement l’homme du 18 juin 1940, qui a incarné l’honneur de la France, de l’autocrate qui a régné sans partage de 1958 à 1969 selon des choix contestables.
Au moment où un certain nombre de militants remettent en question l’existence même de statues érigées à la gloire de personnalités controversées, dont ils souhaitent qu’elles soient retirées, et que leur nom ne soit plus honoré par une rue, une place ou quelque monument que ce soit, faut-il tirer un bilan de l’action du général, et débaptiser de nombreux lieux, à commencer par l’aéroport international de Roissy ? à l’inverse, doit-on ajouter un codicille à la réprobation presque unanime de l’action du Maréchal Pétain, serviteur de la folie meurtrière d’Adolf Hitler, pour souligner son rôle utile à Verdun pendant la 1re guerre mondiale ? faut-il oublier le Colbert administrateur, grand commis de l’état pour ne retenir que l’auteur du Code noir, organisant l’esclavage dans les colonies ? doit-on récuser l’instauration d’une école publique obligatoire, gratuite et laïque parce que Jules Ferry a par ailleurs tenu des propos ouvertement racistes ? Faut-il boycotter l’œuvre de Hergé à cause de l’album Tintin au Congo ?
Ou faut-il plus généralement expliquer, informer, rendre compte de la réalité, toujours plus complexe que les simplifications abusives, et tenir compte des contradictions inhérentes aux personnages historiques et à l’époque où ils ont vécu ? Les Français sont massivement devenus résistants dès la libération de la France par les armées alliées. Certains ont suivi ensuite aveuglément de Gaulle en raison de son passé glorieux, d’autres par opportunisme. D’autres encore ont été beaucoup plus critiques, à juste titre me semble-t-il, mais le souvenir a nivelé les valeurs et la plupart des Français ont désormais hissé le général au rang de patrimoine national, sanctifié par sa disparition, tandis que son rival de 1940, Philippe Pétain, combattu, mais respecté par son ancien subordonné, Charles de Gaulle, est voué aux gémonies de l’indignité nationale. Les dernières tentatives d’honorer sa mémoire par un dépôt de gerbe sur sa tombe à l’île d’Yeu remontent à 1993, et il a cessé d’être le symbole revendiqué par l’extrême droite comme une certaine idée de la France. L’histoire, écrite comme toujours par les vainqueurs, a semble-t-il définitivement choisi son camp.
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