On ne se refait pas

Au cours de son allocution de lundi dernier, Emmanuel Macron a dressé un inventaire non exhaustif des professions qui seraient « en première ligne » pour lutter contre l’épidémie du covid-19. Il leur a rendu un hommage appuyé, soulignant au passage à quel point ces personnes étaient mal payées. Voilà de longs mois que les urgentistes et les personnels de santé ont tiré la sonnette d’alarme. Des années que les fonctionnaires voient leur pouvoir d’achat fondre et se faire grignoter par l’inflation. Des décennies que les salariés ne voient pas la couleur de l’argent distribué aux actionnaires.

Et voilà qu’en guise de rétablissement d’une certaine justice sociale le gouvernement va distribuer des primes. Des primes aux plus méritants, d’abord. Les soignants admirables qui n’ont pas compté leurs heures et qui sont traités comme des employés du mois, les fonctionnaires et tous ceux qui ont fait leur métier sans escompter la moindre récompense, pour ne citer que ceux-là. Alors une prime, c’est toujours plus agréable qu’un coup de pied au fondement, mais cela ne remplace pas une véritable revalorisation de la profession. Lorsque je suis rentré à l’éducation nationale, une partie non négligeable de la rémunération consistait en une indemnité dite de résidence, variable selon le lieu d’exercice et qui ne comptait pas dans le calcul de la retraite. Il a fallu de longues années et une négociation syndicale acharnée pour qu’elle soit intégrée au salaire. Et par ailleurs les enseignants français sont restés parmi les plus mal payés d’Europe.

Des primes seront aussi versées aux plus nécessiteux, victimes collatérales de la crise sanitaire, afin de leur permettre de ne pas mourir de faim s’ils réchappent à la maladie. Dans un cas comme dans l’autre, ces primes s’apparentent soit à de la générosité, car elles sont octroyées selon le fait du prince, soit à de la charité, quand il ne devrait s’agir que de fraternité et de solidarité. Ni les uns ni les autres ne tendent de sébile ni ne demandent l’aumône. De la justice, oui. Du respect, oui. Une rémunération décente, oui, cent fois oui. D’autant plus que cette apparente générosité est tout sauf désintéressée. Quand l’économie nationale est menacée d’une récession qui pourrait atteindre des sommets inédits, dépassant même la crise historique de 1929, l’injection de liquidités fait partie de l’arsenal traditionnel des libéraux, ce que les Américains appellent l’helicopter money, qui consiste à faire un chèque directement à chaque personne, au lieu d’aider les entreprises par exemple. Encore faut-il que l’activité soit redémarrée afin que les bénéficiaires puissent dépenser cet argent au lieu de le laisser dormir sous forme d’économie de précaution. Il faut pour cela rétablir la confiance, et se rendre sympathique. CQFD.