Fallait-il sauver le soldat Isabelle ?

Il s’agit bien sûr d’Isabelle Kocher, seule et unique femme encore pour quelques mois à la tête d’une entreprise du CAC 40. Toute révérence gardée, je l’appelle par son prénom bien que je ne la connaisse pas personnellement, pour faire comme dans les reportages télévisés, où l’on s’autorise systématiquement cette familiarité dès lors qu’il s’agit d’une personne du beau sexe exerçant des fonctions d’autorité. Nous avons droit au caporal Sylvie ou au brigadier Hélène, tandis que leurs homologues masculins seront désignés par leur nom de famille. Faut-il y voir une forme de sexisme ? Ce n’est pas impossible.

En tout cas, l’éviction d’Isabelle Kocher de la tête du groupe Engie, un des géants de l’énergie, a été interprétée comme telle. Une pétition a même circulé en ce sens pour défendre la dirigeante, au motif qu’elle serait victime de son genre, ou bien qu’il serait nécessaire de conserver au moins une femme pour contrebalancer les 39 hommes qui gèrent les principales entreprises françaises cotées en bourse. Il me semble que l’on mélange un peu les questions. Si les conditions étaient réunies pour que la parité soit la règle dans la gestion entrepreneuriale, nous n’en serions pas là. La question de pouvoir nommer une femme incompétente à un poste de responsabilité, comme on le fait couramment pour les hommes, ne se pose plus. Il suffit d’observer le gouvernement actuel. Ce n’est pas le cas d’Isabelle Kocher, dont la compétence n’est pas remise en cause, si ce n’est peut-être la capacité à manœuvrer les jaloux et adversaires qui ne manquent pas quand on détient une parcelle de pouvoir.

Alors aurait-elle été débarquée pour ses prises de position en faveur des énergies renouvelables ? C’est ce qu’a l’air de croire l’écologiste Yannick Jadot, signataire, parmi d’autres, de la tribune en faveur de la directrice générale d’Engie. Si c’est le cas, la menace contre les industries fossiles n’était pas encore bien grande, et la transformation écologique encore bien timide. Mais on ne peut pas sous-estimer la puissance des pressions des lobbies pétroliers et gaziers, quand des intérêts aussi colossaux sont en jeu. La France fait partie des pays qui rémunèrent le plus le capital investi, comme en témoigne le pourcentage record de dividendes servis aux actionnaires. Si cette hypothèse était la bonne, elle soulignerait le rôle joué par le gouvernement qui n’a rien fait pour soutenir Isabelle Kocher alors même que l’état détient 23 % du capital d’Engie. Un mot d’Emmanuel Macron aurait sans doute suffi à inverser la tendance. Tout porte à croire qu’il a simplement abaissé son pouce impérial quand on lui a demandé de lever le petit doigt.