Quitte ou double ?

Ah ! ils sont forts, ces Turcs. Ce n’est pourtant pas précisément de ce pays que l’on pouvait espérer recevoir une leçon de démocratie, mais ils l’ont fait, et bien fait. Déjà, le 31 mars dernier, c’était une surprise de voir le candidat de l’opposition devancer d’une courte tête celui du parti présidentiel aux élections municipales de la capitale économique, Istanbul. Une victoire symbolique pour un pays où le président Recep Tayyip Erdogan s’est efforcé de réduire à néant toute forme d’opposition en diabolisant son rival en exil, Fethullah Gülen.

Profitant de sa position et de son statut, le chef de l’état turc a fait annuler les résultats du premier scrutin sur un motif technique qui n’a trompé personne, et convoqué de nouvelles élections en escomptant un revirement de l’opinion. Car, pour Erdogan, qui tient Istanbul tient la Turquie. Lui-même en a été le maire, et cela lui a permis de conquérir ensuite le pouvoir central, à la façon de Chirac avec Paris. Le résultat de cette nouvelle consultation est sans appel. Non seulement les Stambouliotes ont confirmé la victoire du candidat d’opposition, mais ils l’ont amplifié, transformant une défaite en débâcle électorale du candidat de l’AKP, le parti présidentiel. Erdogan a parié, et il a perdu. Il croyait jouer à quitte ou double, mais il n’en sort pas quitte en réalité. Sa défaite pourrait avoir des conséquences imprévisibles, d’autant qu’il a déjà perdu plusieurs villes importantes et ne tient plus que grâce au conservatisme des campagnes.

Ce résultat illustre aussi le fait que l’effet « coup d’État » sur lequel il a joué pour museler la presse et l’opposition ne fait plus autant recette, pas plus que le soi-disant complot téléguidé depuis l’étranger. Pendant les deux semaines du premier mandat d’Ekrem Imamoglu, écourté contre tout respect des institutions démocratiques, le nouveau maire a eu le temps de prendre quelques mesures dans le sens d’une meilleure justice sociale. Toute sa campagne est allée dans le sens d’un rassemblement, quand le président Erdogan joue sur les clivages et les divisions. Son discours a convaincu une majorité d’électeurs d’Istanbul, et il est considéré comme une étoile montante en Turquie. Une bonne gestion et un programme allant vers plus de progrès social et moins de place aux confréries religieuses, pourraient en faire un rival sérieux pour les prochaines élections présidentielles. Accessoirement, le président autocrate Erdogan perd aussi une source non négligeable de financement de son parti, et une machine de guerre électorale. Il ne faut pourtant pas s’y tromper et crier victoire trop vite. Ce revers devrait l’empêcher de mener le pays sans tenir le moindre compte de l’opinion, et c’est déjà ça.