Les caprices de Marianne (bis)

Prendre le mal à la racine ? Soit, beau projet, pour bien faire, il faudrait commencer par le commencement : définir précisément la mission de l’institution scolaire, élaborer la pédagogie et les programmes qui sont nécessaires pour sa réalisation, former correctement ses acteurs…

Je pense plus que jamais que les institutions scolaires devraient se préoccuper, dans leurs objectifs, de savoir dans quelle société devront évoluer ceux que l’on instruit. Savoir anticiper, voilà ce que ne sait pas faire le système éducatif actuel, pas plus qu’il ne sait développer chez chaque individu, les capacités créatrices, les facultés d’adaptation, le sens du raisonnement, l’entraînement à la réflexion philosophique, la possibilité d’autonomie, le sens du partage et de la coopération, la responsabilisation, l’imagination… autant dire viser « une tête bien faite, plutôt qu’une tête bien pleine ». 

L’aide que j’apporte à Handy, enfant de gens du voyage, élève de quatrième, n’a fait que renforcer ce sentiment d’inefficacité, voire l’absurdité d’un système dont les objectifs louables annoncés de développer les compétences dans les différentes disciplines, échoue lamentablement à l’arrivée pour plus de 15 % des élèves.

En effet, quelles compétences est-il supposé déjà posséder pour pouvoir les développer quand on sait qu’il ne doit sa place en 4e qu’à l’ancienneté ?

Le programme de français par exemple doit développer sa « compréhension synthétique de la langue », « sa culture littéraire et artistique » « dialoguer avec les œuvres littéraires du patrimoine » …

Quand on constate qu’il ne connaît aucune des règles élémentaires de conjugaison, que peut-il faire sinon être en échec quand on va lui demander d’analyser les extraits « des caprices de Marianne » dont la forme de langage lui est étrangère, de dégager les métaphores, les anaphores et les comparaisons dans des extraits de Victor Hugo, Zola, Maupassant, de faire la différence entre la poésie romantique et la poésie réaliste ? Autant de contenus de programmes intelligibles que pour un public « averti » qui peut compter sur le soutien de sa famille, dont le statut social se situe à minima dans les classes moyennes.

Les programmes en question sont élaborés par un conseil supérieur des programmes (CSE) en liaison avec la direction générale de l’enseignement scolaire, qui nomme un groupe d’experts, composé d’universitaires, de chercheurs spécialistes du système éducatif, et de représentants des enseignants, avec l’aide du conseil supérieur de l’éducation, et un avis consultatif du Haut conseil de l’éducation. Ces « technocrates » arrêtent des objectifs, transmis au ministre.

Ce dernier met en place une commission de 3 députés, 3 sénateurs et 2 représentants du conseil économique et social, aidés par plusieurs inspecteurs généraux, des professeurs d’université, un ingénieur, pour définir les contenus destinés à un public dont ce beau monde a une piètre connaissance !

De toute façon, Handy fait partie des décrocheurs dont 80 % étaient déjà en échec au CP, et des 15 % des 12 891 350 élèves en grande difficulté. Le maintien des REP (réseau d’éducation prioritaire) dans les écoles élémentaires et dans quelque 732 collèges implantés dans des secteurs défavorisés ne suffira pas à remettre en route le fameux « ascenseur social », il y a trop de videurs à l’entrée !

S’intéresser à la racine c’est bien, mais s’occuper des branches fragiles, c’est urgent pour donner sa chance à chacun et pour faire de l’école autre chose qu’une machine à reproduction sociale…

L’invitée du dimanche