J’ai confiance

J’ai confiance en la justice de mon pays, a-t-on coutume de dire, alors qu’on pense en réalité le contraire. Cette formule est largement utilisée par les hommes politiques impliqués dans des « affaires », et j’imagine que Bernard Tapie a dû l’employer plus souvent qu’à son tour. Mais pas cette fois. L’homme d’affaires, précisément, ne décolère pas à l’énoncé des réquisitions du ministère public, qui réclame, par la bouche des deux procureurs, une peine de 5 ans de prison ferme, pour avoir participé à une escroquerie et en être le principal bénéficiaire dans le litige qui l’opposait au Crédit lyonnais.

Si les faits qui lui sont reprochés sont avérés, la peine n’a rien d’extravagant. Il aurait en effet suborné un des juges du tribunal arbitral avec la complicité de son avocat et la « bénédiction » de politiques jusqu’au plus haut sommet de l’état, couvert par l’immunité présidentielle. La ministre de l’époque, devenue directrice du FMI, Christine Lagarde, a déjà été jugée et reconnue coupable par la cour de justice de la République pour négligence, mais a été dispensée de peine, ce qui pourrait aussi être le cas de Bernard Tapie, atteint d’un double cancer et âgé de 76 ans. C’est d’ailleurs l’argument de son avocat pour réclamer un non-lieu. Un raisonnement spécieux pour un juriste averti. Que le tribunal statue sur le fond et rende son arrêt sur les accusations du ministère public. Il sera toujours temps de réfléchir ensuite à de possibles aménagements de la peine, si elle est prononcée. Le véritable enjeu n’est pas tant de punir une magouille, même si, sur le principe, il est important que la justice passe, que de récupérer des sommes versées indûment pour réparer un préjudice imaginaire.

Quand on pense que le litige remonte à 1992, avec la revente du groupe Adidas appartenant à Bernard Tapie, par une filiale du Crédit lyonnais avec une confortable plus-value pour la banque, on est en droit de s’interroger sur le fonctionnement de la justice. Il semblerait que les acteurs politiques aient été tentés de s’arranger entre eux, avec l’argent du contribuable, pour accélérer une procédure interminable. C’est le rôle du ministère public de demander une peine en rapport avec l’infraction supposée. J’ai trouvé incompréhensible la demande d’acquittement prononcée par le procureur dans une autre affaire, celle du meurtre et du viol d’une joggeuse, pour insuffisance de preuve. On ne demande pas au ministère public de requérir selon son intime conviction, mais de défendre les intérêts de la société. La défense aura encore à s’exprimer, et le tribunal tranchera entre les thèses des deux parties. À titre personnel, je serais tenté de dire au tribunal : condamnez Bernard Tapie pour l’ensemble de son œuvre, si vous ne savez pas pourquoi, lui, il le sait.