Un pas des sénateurs

Si l’on m’avait dit il y a quelques années que je défendrais l’existence même du Sénat, je n’y aurais pas cru. Si l’on considère le mode de désignation des membres de cette institution, il parait tout sauf démocratique, à présent que nous sommes habitués au suffrage universel. Ce sont les « grands électeurs » qui votent pour des listes présentées par les partis. Les candidats sont alors choisis, soit à la proportionnelle, soit au scrutin majoritaire à deux tours, selon l’importance du département.

Les sénateurs, qui sont élus principalement par les maires et les conseillers municipaux ou régionaux, représentent essentiellement la France rurale. Ce sont souvent des notables issus de la droite et du centre. Dès son origine, en 1875, sous la 3e République, le Sénat est supposé équilibrer le rôle de l’Assemblée nationale, qui conserve toutefois le dernier mot. Le mandat est alors de 9 ans, et une partie des sénateurs, les 75 membres désignés par l’Assemblée, est même inamovible. Les autres sénateurs sont renouvelables par tiers. C’est donc la stabilité qui est recherchée. Diverses réformes vont atténuer cette caractéristique, le Général de Gaulle allant même jusqu’à proposer sa suppression.

La formation politique du président Macron étant très récente, la majorité présidentielle, qui est surreprésentée dans l’hémicycle, ne compte qu’une vingtaine de membres au Sénat sur les 348 que compte la chambre haute. Elle n’a donc pas pu s’opposer à la tenue de la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Benalla, contrairement à celle de l’Assemblée nationale, qu’elle a réussi à saborder. Voilà donc la REM poussant des cris d’orfraie et hurlant au complot politique parce que la commission sénatoriale a fait son travail et transmis à la justice ses soupçons légitimes sur la sincérité des déclarations sous serment des protagonistes de cette affaire, parmi lesquels figurent des proches du président. Je ne vois pas où est le problème. Le Sénat ne dispose d’aucun pouvoir judiciaire. Ce sera donc à la justice de décider s’il y a lieu de poursuivre et, si oui, d’apprécier s’il y a effectivement eu faux témoignage et parjure. Quant au président lui-même, il ne peut pas être visé par une procédure de justice, hormis en cas de forfaiture. En revanche, rien ne l’empêche de viser l’institution sénatoriale, qui le gêne tout autant que ses prédécesseurs, et de chercher à diminuer ses pouvoirs et prérogatives faute de pouvoir l’abolir purement et simplement. Il n’y a qu’un seul problème : pour diminuer le nombre de sénateurs et obtenir leur renouvellement en entier tous les 6 ans, il lui faut rallier une majorité des trois cinquièmes des députés et des sénateurs, qui se saborderaient eux-mêmes, ou passer par un référendum de tous les dangers, comme celui qui a conduit de Gaulle à la démission en 1969.