Jetons de présence

Après le Sénat hier, arrêtons-nous un instant sur le fonctionnement de l’Assemblée nationale. Beaucoup d’internautes ont réagi à l’annonce des résultats du vote sur la loi « Pacte », qui prévoit notamment la vente des « bijoux de famille » en concédant pour 70 ans la gestion des Aéroports de Paris, de la Française des jeux et d’Engie à des groupes privés. En effet, il a suffi de 27 députés sur les 577 que compte l’Assemblée pour adopter le texte de la loi, alors que 15 députés seulement avaient voté contre.

C’est parfaitement scandaleux et incompréhensible, mais tout à fait légal. Il n’est pas nécessaire d’obtenir la présence de la totalité des députés, ni même d’une majorité d’entre eux, le fameux quorum, pour pouvoir délibérer valablement. Cela parait choquant dans un système basé sur la représentation. Chaque député est supposé porter les options d’une fraction de la population qui l’a désigné pour prendre des décisions en son nom. En général, il s’est présenté sous une « étiquette » politique, l’investiture d’un parti ou d’un courant de pensée, et il a présenté un programme, habituellement désigné sous le terme de « profession de foi ». En théorie, les députés sont libres de leur vote, mais la pratique démontre que la discipline de vote joue à plein dans l’hémicycle, à de rares exceptions près. L’Assemblée nationale devient donc une simple chambre d’enregistrement qui reflète les rapports de force constatés aux élections législatives. La présence ou l’absence sont alors secondaires, les jeux étant faits en amont.

Ne croyez pas pour autant que je considère les députés comme des « tire-au-flanc ». La loi Pacte a été adoptée à 6 h 15 samedi dernier, après une séance de nuit. Le député de la France Insoumise, Éric Coquerel, y était, et il n’était pas le seul. Il était interviewé à 23 h le soir suivant et il enchaînait donc les séances de travail, sans trêve ni repos. Il est connu que les députés travaillent surtout dans l’ombre, dans les commissions où ils sont tenus de participer. Ils doivent aussi passer du temps dans leur circonscription pour rester au contact de leurs mandants et, accessoirement, se faire réélire. Sans aller jusqu’à instituer des jetons de présence comme aux conseils d’administration des grandes entreprises, subordonnant la rémunération des administrateurs à leur présence effective dans les réunions, il parait évident que ce système de démocratie représentative atteint des limites, qui expliquent, sans le justifier, l’antiparlementarisme évident au travers du mouvement des gilets jaunes. D’où cette demande de démocratie directe par le biais de référendums d’initiative citoyenne, qui montre surtout la défiance envers ceux qui sont supposés représenter le peuple et servent principalement des intérêts partisans, ou les leurs propres.