Viva Laldjérie !

C’était le titre d’un film de 2004, superbe fresque dans laquelle les femmes tenaient le rôle principal, ainsi que le pays lui-même. L’Algérie est aujourd’hui descendue dans la rue, donnant la leçon à l’ancien colonisateur français, par son calme, sa détermination et l’absence de débordements, qui contrastent avec les incidents qui émaillent chaque manifestation de gilets jaunes. C’est une marée humaine qui apparait sur les images rendant compte de ce mouvement de protestation contre la nouvelle candidature à sa propre succession du président Bouteflika.

Ce qui frappe, c’est la jeunesse et la féminisation des opposants. Dans un pays où la moitié de la population a moins de 28 ans, la plupart des Algériens n’ont connu que le régime politique actuel et ils lui disent clairement qu’il est temps de passer à autre chose. Il ne s’agit plus seulement de s’opposer à un homme qui s’accrocherait au pouvoir, mais à un clan et un système qui a accaparé la richesse nationale depuis l’indépendance. Avec un certain décalage, le peuple algérien vit son printemps arabe et le dégagisme qui s’en est suivi. La vague qui a emporté Ben Ali en Tunisie risque de déferler sur l’Algérie, et le roi du Maroc ne devrait pas se sentir rassuré par la tournure des évènements. Bien que le patriarcat reste la règle au Maghreb comme dans d’autres pays, la mobilisation des femmes est aussi un facteur très important quand on connait leur influence, souterraine souvent, mais effective. Devant la contestation massive, le pouvoir ne semble pas savoir comment réagir. Sa décision d’avancer les vacances universitaires, outre qu’elle signe un aveu d’impuissance, pourrait se révéler contre-productive. En voulant vider les facultés, elle laisse le champ libre à la contestation étudiante, en supprimant la concurrence entre la préparation de son avenir personnel et la préservation de l’avenir collectif de toute une génération qui se sent abandonnée, voire méprisée.

La modération des forces de l’ordre vis-à-vis des manifestants, et les déclarations conciliantes des représentants de l’armée sont le signe de l’embarras du pouvoir, qui n’a rien vu venir, pas plus que le gouvernement français, par rapport au mécontentement populaire. Dans les deux cas, le dentifrice sera très difficile à remettre dans le tube. L’hypothèse la plus fréquemment évoquée serait de reporter les élections algériennes pour laisser place à un gouvernement d’union nationale. Il sera bien compliqué de réaliser une alliance entre frères ennemis qui ne partagent que leur opposition au pouvoir actuel, lequel a réussi à empêcher l’éclosion de mouvements démocratiques puissants et structurés. Il ne faut pas oublier non plus les islamistes du FIS, qui restent en embuscade, et le risque, réel, d’une reprise en main par l’armée, comme le général Al-Sissi l’a fait en Égypte, confisquant ainsi la révolution amorcée par le peuple.