Chaussure à son pied

C’est ce que chacun chercherait, parait-il. La chaussure est aussi un des plus sûrs moyens pour estimer le degré d’aisance de son propriétaire, car les tarifs pratiqués dans cette activité économique en font un signe extérieur de richesse aussi sûrement que la possession d’un yacht ou d’une écurie de course. Alors quand les photos du couple présidentiel français en déplacement en Égypte chez notre sympathique ami dictateur et néanmoins client de gros contrats d’armement, le Maréchal Sissi, ont circulé sur les réseaux sociaux, les spécialistes ont vite identifié la marque et le modèle des chaussures de Brigitte Macron.

Bien que je ne leur trouve personnellement aucune classe, ces « baskets » kaki sont bel et bien estampillées Louis Vuitton, ce qui leur confère immédiatement la valeur de 750 euros à laquelle elles sont vendues. De quoi relancer la polémique sur les dépenses engagées par l’épouse du président pour elle-même, ou pour le train de vie de l’Élysée. Les services présidentiels ont cru trouver la parade absolue en indiquant que ces chaussures, comme les robes de Mme Macron, étaient prêtées et ne coûtaient rien au contribuable. C’est gravement méconnaitre le bon sens des Français, qui savent que personne ne leur prêtera jamais un tel symbole. Certains se souviennent encore des bottines de Roland Dumas, offertes par sa maitresse Christine Deviers-Joncour à l’aide de l’argent du groupe Elf. À l’époque, il s’agissait de chaussures Berluti, une paire à 11 000 francs, l’autre à 13 000 francs, ce qui faisait dire que Roland Dumas se promenait avec un SMIC annuel à chaque pied. Curieusement, l’opinion publique lui gardera davantage grief de ses goûts de luxe indécents que des dizaines de millions détournés en pots-de-vin et commissions qu’il a couverts à l’époque.

Il faut donc se garder de sous-estimer l’impact du symbole des chaussures de luxe comme révélateur des inégalités sociales. Sous le quinquennat Hollande, un de ses proches conseillers, Aquilino Morelle, avait déjà scandalisé en employant un cireur de chaussures pour entretenir sa trentaine de paires de souliers de luxe, dans les locaux de l’Élysée. La leçon a-t-elle été retenue ? Ni Brigitte ni Emmanuel Macron n’ont besoin d’embaucher de cireurs de pompes professionnels. Il ne manque en effet pas de bénévoles ou d’amateurs prêts à exécuter quotidiennement cette tâche, au point que les chaussures présidentielles n’ont pas le temps de se souiller en aucune façon qu’elles sont déjà soigneusement léchées et prêtes à resservir comme si elles étaient neuves. Je me suis même laissé dire que c’était un souci du couple, que d’avoir été élevé plus ou moins hors-sol, et d’avoir découvert récemment que leur attitude naïvement aristocratique pouvait déchaîner un torrent de haine pure, à laquelle ils ne comprennent rien.