Pourquoi tant de haine ?

C’est la question, légitime, que je me suis posée, tout comme vous peut-être, en apprenant la décision du constructeur automobile américain Ford de fermer coûte que coûte son usine de Blanquefort près de Bordeaux, alors qu’une offre de reprise est présentée par le Belge Punch. En première analyse, ce choix est incompréhensible. Ford va devoir s’acquitter d’un plan « social » qui va lui revenir cher, sans contrepartie apparente. Pour les 850 salariés actuels, c’est une catastrophe. Les primes ne compenseront pas, et loin de là, la perte d’un salaire pour les 10 à 20 ans qui leur resteront avant leur retraite.

Le ministre de l’Économie, le très libéral Bruno Lemaire, semble découvrir la dureté du capitalisme froid et n’a pas de mots assez fermes pour dénoncer l’attitude de l’industriel, qu’il accuse de sacrifier les salariés sur l’autel du cours de la Bourse de son groupe. On ne peut que saluer cette conversion tardive aux thèses du plus célèbre des ouvriers de l’usine Ford de Blanquefort, l’ancien candidat à la présidentielle pour le nouveau parti anticapitaliste, Philippe Poutou. Ford, qui n’avait trouvé aucun repreneur faute d’en avoir cherché, juge l’offre de Punch insuffisamment étayée, alors qu’elle a le soutien de l’état français, de la région Aquitaine et que les salariés ont consenti des sacrifices supplémentaires pour conserver leur outil de travail. Mais le constructeur serait tenu de financer partiellement la recapitalisation de l’usine et ne tient surtout pas à favoriser un concurrent direct, fut-ce sur le dos des ouvriers de l’usine. Pourtant Punch s’engage à conserver une bonne partie des emplois, tout comme il l’a fait quand il a repris une usine similaire à General Motors à Strasbourg. Le groupe belge est donc fiable, contrairement à Ford, qui a empoché les aides publiques depuis la création de l’usine en 1971 et qui attend depuis la délivrance de ses obligations, fixée à 2018.

Les grosses multinationales jouent toujours le même jeu, et pour cause, car ça marche : le chantage à l’emploi pour obtenir des subventions et des sacrifices de leurs employés, à l’exception des dirigeants comme Carlos Ghosn, dont la rémunération légale est plus scandaleuse que l’éventuelle fraude dont il se serait rendu coupable auprès du fisc japonais. Lorsque le citron est bien pressé, on n’a plus qu’à jeter la peau, et tant pis si le bébé part à l’égout avec l’eau du bain. Il ne reste plus qu’à recommencer ailleurs. Cela s’appelle la libre circulation des capitaux, chère à notre président, que l’on n’entend guère sur le sujet ces temps-ci, pas plus que sur le fameux ruissellement dont les premiers de cordée étaient censés faire bénéficier ceux qui n’ont rien, ceux qui ne sont rien.