Soyez réalistes, demandez l’impossible

Voici un des slogans les plus connus hérités de Mai 1968, et qui me parait s’appliquer parfaitement à la situation créée par la révolte des gilets jaunes. Après avoir retardé le plus possible la reconnaissance d’un malaise profond de notre société illustré par les manifestations de rue, les blocages de rondpoints et les revendications de tout poil qui se sont exprimées, le pouvoir s’est résigné à simuler un certain intérêt pour un mouvement populaire qui lui échappe totalement, au propre comme au figuré. Le fait que 8 Français sur 10 le soutiennent et que la même proportion désapprouve le gouvernement n’y est dans doute pas étranger.

Pour gagner du temps, le pouvoir a accepté de discuter, à condition que ses interlocuteurs soient représentatifs et légitimés par « la base », en escomptant que les divisions lui épargneront la peine de faire semblant de les écouter. On veut bien les voir, mais les décisions sont déjà prises : pas de retrait des taxes, pas de coup de pouce au SMIC, malgré la belle promesse de mieux rémunérer le travail. La justification de tout cela, c’est l’impossibilité de faire une autre politique. Voire ! Le crédit d’impôt accordé aux entreprises, transformé en baisse de charges va coûter près de 40 milliards en 2019. Le budget de la défense va augmenter de 1,7 milliard en 2019 pour atteindre près de 36 milliards d’Euros. La lubie du Président d’instituer un service national universel pour les ados coûtera à elle seule plusieurs milliards par an. Des choix existent, même si la France s’astreint à ne pas creuser les déficits. Les contraintes financières ne sont donc que des prétextes à mener une politique qui néglige les classes moyennes et encore plus les plus pauvres.

D’où la revendication légitime des protestataires qui appellent à la démission du Président, de qui procède en ce moment toute autorité et dont l’entêtement ne permet pas d’espérer une quelconque inflexion des orientations. Mais c’est impossible, leur rétorque-t-on. Le président est élu pour 5 ans, il est donc légitime. Certes. Mais cela a-t-il empêché le général de Gaulle d’organiser un référendum en 1969 pour vérifier que les Français continuaient à approuver son action et de tirer la leçon de sa défaite en démissionnant ? Quant à l’Assemblée nationale, la constitution ne fait pas obstacle à sa dissolution et à la convocation de nouvelles élections à la lumière des conséquences néfastes des réformes conduites au pas de charge. On a envie de dire : « chiche ». Consultons le peuple souverain, mais un peuple éclairé, qui pourrait donner son avis en toute connaissance de cause. Pour en revenir à De Gaulle, selon sa formule, c’était lui, ou le chaos. Avec Macron, c’est lui, et le chaos.