On n’a pas tous les jours 20 ans !

Oui, je sais. Tout le monde n’est pas amateur de football, mais une fois tous les 20 ans, on peut faire une exception, et se réjouir d’un succès somme toute hors du commun. Et je connais personnellement un jeune homme qui est né peu de temps après la première victoire historique qui a consacré l’équipe de France au sommet de la hiérarchie mondiale de ce sport, qui le pratique lui-même et qui a dû vibrer tout au long de la compétition. Il se reconnaîtra.

D’ailleurs, la liesse populaire va bien au-delà d’une simple rencontre sportive remportée aux forceps, il faut bien le dire, sur de vaillants Croates beaucoup plus coriaces qu’on se l’imaginait. Désormais, il faudra changer le dicton selon lequel le football se joue à 11 contre 11 et à la fin ce sont les Allemands qui gagnent. Cette fois-ci, les 60 millions de sélectionneurs qui critiquent habituellement les choix de celui qui a la charge de former l’équipe se sont regroupés derrière lui pour le soutenir, et à la fin, pour la deuxième fois de leur histoire, 20 ans après, ce sont les Français qui ont gagné. Selon l’adage bien connu, tout un peuple est sorti dire sa joie au son d’un « on a gagné », tandis que dans le cas d’une défaite, chacun aurait ruminé sa morosité dans son coin en déclarant « qu’ils avaient perdu ».

En 1998, les observateurs les plus avisés avaient célébré le triomphe de la France « black blanc beur » en oubliant un peu vite que cette unanimité n’était que de façade. Dès 2002, avec le score du Front national et l’accession de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de la présidentielle, nous pouvions mesurer que la fracture sociale sur laquelle Jacques Chirac avait réussi à se faire élire, sur un malentendu, n’avait absolument pas disparu. Pire, elle s’était aggravée. En 2018, il ne semble pas que les Français voient dans leur équipe nationale un symbole d’une diversité culturelle, ou un brassage social salutaire. Il y a à peine moins de grincheux à faire remarquer la pigmentation de la peau des joueurs, ou à scruter s’ils chantent réellement la Marseillaise. Pas d’enthousiasme excessif non plus sur les qualités intrinsèques des joueurs, si l’on excepte le phénomène M’Bappé, à la vitesse supersonique, qui semble promis à une très belle carrière. Cette équipe, elle est un peu à l’image de la France d’aujourd’hui : pas forcément flamboyante, mais terriblement efficace. On peut compter sur le président Macron pour en tirer le plus de bénéfice politique possible, mais après tout, c’est de bonne guerre. Il semble profiter lui aussi, comme Didier Deschamps, le sélectionneur, d’une insolente baraka.