Un cœur d’or
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le mardi 24 avril 2018 10:29
- Écrit par Claude Séné
L’expression est galvaudée, mais dans le cas d’Anne de Bretagne, elle prend un sens littéral. En effet, le cœur de la duchesse de Bretagne, deux fois reine de France, était conservé dans un reliquaire en or massif rehaussé d’émail et orné de multiples inscriptions gravées à la gloire de cette femme, qui symbolisa la résistance de la Bretagne à la couronne des rois de France. Il était exposé dans un musée de Nantes et avait disparu au cours d’un vol avec effraction, ainsi que d’autres objets précieux.
Sa valeur marchande est estimée à plusieurs millions d’euros, à supposer qu’il se trouve un collectionneur suffisamment fortuné pour l’acquérir de façon totalement illégale, mais sa valeur symbolique est inestimable. Pour les Bretons, ce reliquaire démontre par sa seule présence l’appartenance de la ville de Nantes à la Bretagne, sans en être toutefois la capitale du fait de sa position excentrée. C’est d’ailleurs dans le château des Ducs de Bretagne, à Nantes, que naquit Anne, qui devait devenir la « duchesse en sabots » chère au cœur des Bretons. Dans l’imagerie populaire, la duchesse se serait sacrifiée en épousant successivement deux rois de France, Charles VIII et Louis XII, pour préserver son beau pays natal des guerres fratricides. Dans la réalité, ces mariages sont comme d’usage des instruments politiques, la Reine prendra le pas sur la Duchesse et habitera plus souvent Blois et la Touraine, où elle mourra en 1514, que la Bretagne dont elle fera seulement un « tour » des sanctuaires.
Les auteurs du vol ont été arrêtés et le butin récupéré intact, au grand soulagement des autorités qui craignaient que le trésor ait été fondu et vendu au poids de l’or. Le symbole est fort d’un point de vue sentimental, mais il souligne en creux le déclin de l’idée indépendantiste, si fort dans ma jeunesse et aujourd’hui réduit à peau de chagrin. S’il reste des militants du rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne, qui ont perdu leur récent combat à l’occasion de la refonte administrative des régions qui a vu se maintenir le statu quo des entités de Bretagne et des Pays de la Loire, les partisans d’une Bretagne indépendante ou autonome n’ont plus guère le vent en poupe, comme en témoignent les scores de leurs partis aux élections. Alors que les mouvements séparatistes s’affirment en Catalogne ou dans le Nord de l’Italie, les partis bretons relèvent plus du folklore ou du romantisme que d’une mobilisation populaire. À l’instar de l’ETA au Pays basque, des nationalistes en Corse, de l’IRA en Irlande, les successeurs du Front de libération de la Bretagne ou de l’Union démocratique bretonne ont renoncé à la lutte armée, et je ne peux que m’en féliciter.