La messe en latin

C’est en latin que le grand prêtre de la loi sur l’asile et l‘immigration, Gérard Collomb, a répondu aux questions d’actualité adressées au gouvernement ce mercredi. Citant Saint Augustin, le ministre de l’Intérieur a déclaré textuellement : « amabam amare, et amans amare, quid amarem quaerebam. » Vous n’avez rien compris ? Ne vous inquiétez pas, c’est voulu. De la même façon que l’église a longtemps assis ses privilèges sur la célébration de la messe dans une langue incompréhensible au commun des mortels, une certaine classe politique s’applique à obscurcir des débats qui ne sont au fond que trop clairs.

L’agrégé de latin-grec qu’est l’ancien maire de Lugdunum, après avoir asséné sa citation destinée à noyer un poisson déjà au bord de l’asphyxie à l’énoncé des intentions du gouvernement sur sa politique migratoire, a condescendu à traduire son énoncé : « j’aimais aimer, et aimant aimer, je cherchais qui aimer. » Et là, c’est la beauté de la chose, on se rend compte que l’on ne comprend pas non plus la phrase une fois traduite. C’est-à-dire qu’il faudrait traduire la traduction. Le petit problème, c’est que la pensée de Saint Augustin culmine à des hauteurs que ni vous ni moi ne sommes censés même approcher, et à supposer qu’un esprit supérieur tel que celui de Môssieur Collomb réussisse à nous l’expliquer en se mettant à la portée des vulgaires pékins (traduction approximative de vulgum pecus) que nous sommes, nous risquerions fort de n’en point goûter tout le sel, à la manière d’une blague qui perd toute drôlerie si elle doit être décortiquée pour la saisir.

Et où voulait donc en venir le ministre avec sa citation ? à ce que le gouvernement n’est pas dénué d’une certaine humanité, contrairement aux apparences, et que, comme Saint Augustin, il châtiera bien ceux qu’il aime bien, c’est-à-dire la plus grande partie des candidats au mode de vie occidental, quelles qu’en soient les raisons, priés de débarrasser le plancher pour rester entre bons Français repus et satisfaits, du moins les premiers de cordée. Citation pour citation, je lui en ferai une autre, illustrée par un dessin de Lefred-Thouron dans le Canard enchainé : « l’humanité et la fermeté sont sur un bateau, l’humanité tombe à l’eau. Qu’est-ce qu’il reste ? » Tous les gouvernements successifs se sont emparés de l’alibi humanitaire pour justifier leur politique d’exclusion depuis la malheureuse phrase de Rocard et sa misère du monde. On peut le dire en latin, en mandarin ou en volapuk, le fond reste le même. Quant à moi, je reprendrai à mon compte la formule de Brassens en la modifiant légèrement : même en latin, même en latin, la messe nous emmerde !