L’âge du capitaine
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- Catégorie : Diabloguiste
- Publié le mardi 13 février 2018 10:25
- Écrit par Claude Séné
La vérité sort souvent involontairement de la bouche de Christophe Castaner, délégué général de la République en marche, spécialiste des lapsus, qui a appelé dernièrement à l’Assemblée nationale le ministre de l’Intérieur, Christophe Colomb. Et en effet, ce gouvernement nous donne l’impression de redécouvrir l’Amérique tous les quatre matins. Cette fois-ci, il semble vouloir s’attaquer à l’enseignement des mathématiques, une matière dans laquelle nous serions à la traîne selon le fameux classement PISA. Le nouveau député et mathématicien Cédric Villani a remis hier un rapport dans lequel il préconise d’utiliser la méthode dite de Singapour, pays qui caracole en tête du classement en question.
J’avoue que je ne suis plus d’aussi près les questions pédagogiques, mais pour autant que j’ai pu la comprendre, cette méthode s’appuie beaucoup sur la manipulation dans une première approche. Je peux témoigner que cela ne suffit pas. Dans les années 60, on continuait dans les écoles normales à préconiser les « bûchettes » avec lesquelles j’avais moi-même appris à compter en tant qu’élève. Et ce n’est que dans les années 80, après un détour peu concluant par les mathématiques dites « modernes », que j’ai découvert les travaux de Stella Baruk, qui mettaient le sens au cœur de l’enseignement des mathématiques, d’où le titre d’un de ses ouvrages qui soulignait l’absurdité de certains énoncés où il fallait déduire l’âge du capitaine à partir d’informations sans rapports entre elles. Depuis cette époque, j’ai l’impression que les choses n’ont guère évolué, et que mis à part quelques chanceux qui auraient « la bosse des maths », la matière mathématique continue à rebuter de nombreux élèves.
Car le paradoxe, et Cédric Villani en est un vivant exemple, lui qui a décroché la médaille Fields, l’équivalent du Nobel de Mathématiques, c’est que, malgré un niveau globalement insatisfaisant, se dégage une élite de brillants chercheurs dans ce domaine. Est-ce à dire que Cédric Villani est le mieux placé pour faire des recommandations sur l’enseignement de cette discipline ? Pas nécessairement. Il n’a probablement pas rencontré les difficultés d’apprentissage de la plupart des élèves en difficulté avec cette matière. Les forts en thème n’ont souvent pas la moindre idée de ce qui bloque leurs camarades moins à l’aise. Pour évaluer une méthode pédagogique, on essaie d’utiliser la démarche scientifique expérimentale où l’on ne modifie qu’une variable à la fois. Le problème, c’est qu’en sciences humaines, les choses ne sont jamais toutes égales par ailleurs, contrairement au laboratoire. De mon expérience personnelle, il ressort que c’est essentiellement la relation affective et émotionnelle avec l’enseignant qui conditionne le goût pour une matière, quelle qu’elle soit. Cela ne dispense pas d’avoir une solide formation disciplinaire et de s’appuyer sur de bons outils pédagogiques, mais ceux-là ne sauraient remplacer la passion qui anime encore, fort heureusement, beaucoup de professionnels.