Présomptions

La machine médiatique s’est une nouvelle fois emballée depuis que les enquêteurs ont fait le rapprochement entre l’affaire de la disparition de Maëlys, toujours non élucidée, et celle d’un jeune militaire en avril dernier, dont on a identifié le crâne grâce à une expertise de l’ADN. Le principal suspect, dans les deux cas, c’est cet ancien militaire, dont la voiture et le téléphone semblent avoir été repérés sur les lieux du crime. Et c’est à peu près tout, dans la mesure où Nordhal Lelandais nie les faits ou invoque son droit au silence.

Quelques éléments troublants, comme le nettoyage minutieux de son Audi A3, dans le but prétendu de la vendre, ou des traces d’ADN relevées sur le tableau de bord, renforcent la conviction des enquêteurs, mais, au fond, ce ne sont que des présomptions, qui constituent un faisceau d’indices concordants, sans plus. Aux yeux de la loi, il reste présumé innocent, jusqu’à ce que la justice statue dans un sens ou dans un autre au cours d’un procès. Il en va tout autrement pour l’opinion publique. Vous trouverez difficilement des lecteurs ou des auditeurs informés par la presse qui croient à l’innocence de Nordhal Lelandais, et je ne fais pas exception à cette règle, tant ce jeune homme fait mauvaise impression, du fait même de son assurance et de sa défense point par point sur les incohérences de sa version des faits. Là où il est permis de s’interroger, c’est sur la fabrication instantanée du mythe d’un tueur en série à partir de deux enquêtes seulement.

Les experts de tout poil ont été convoqués pour faire coller, « matcher » comme on dit maintenant, deux affaires que tout oppose à première vue. Quels points communs entre une fillette de 9 ans et un jeune militaire, quand on sait que les motivations ou connotations sexuelles sont souvent associées aux meurtres réitérés ? A priori, aucun. Pourtant, les familles de personnes disparues dans la région plus ou moins proche ont repris espoir de voir leur affaire élucidée en se fondant sur l’hypothèse d’un tueur multiple et récidiviste, qui s’en prendrait spécifiquement à des fillettes. Leurs espoirs risquent d’être déçus et le rôle de la presse ne me semble pas sain en laissant s’échafauder des hypothèses qui n’ont pas encore reçu le moindre commencement de preuve. Si Nordhal Lelandais est vraiment un tueur en série, il y a peu de chances qu’il facilite la tâche des enquêteurs. Souvenons-nous de Francis Heaulme, qui a reconnu certains crimes, mais a refusé énergiquement d’endosser la responsabilité du double meurtre de Montigny-lès-Metz, pour lequel Patrick Dils avait été condamné à tort. Il a cependant été reconnu coupable par la justice, sans grand soulagement pour les familles.