David contre Goliath

Vous connaissez l’histoire, rapportée à la fois dans la Bible et dans le Coran. Ou comment un jeune berger, nommé David, vint à bout d’un géant, Goliath, le champion des Philistins, qu’il défia en combat singulier. Muni d’une simple fronde, David, qui allait devenir plus tard roi d’Israël et de Judée, et le père du roi Salomon, réussit à faire tomber Goliath d’un projectile bien placé en plein front et à l’achever avec sa propre épée. La parabole est devenue depuis l’exemple même du combat déséquilibré qui tourne à l’avantage du plus faible.

C’est donc tout naturellement que l’on a pu comparer l’aventure de la société GameStop, objet d’attaques de puissants investisseurs boursiers, finalement valorisée et grande gagnante à Wall Street, avec cet épisode biblique. Le principe même de la spéculation consiste à acheter des actions quand elles sont au plus bas et les revendre au plus haut. La beauté du geste, c’est de faire l’opération avec le même client, pour empocher la plus-value au passage, sans même que les actions bougent physiquement. C’est le marché à terme. La difficulté consiste à savoir si l’action va continuer dans sa tendance, haussière ou baissière, ou si elle va s’inverser, afin de limiter les pertes éventuelles. Dans ce marché à somme nulle, d’ordinaire les gros, comme Goliath, mangent les petits, comme David. La puissance de feu des fonds d’investissement leur permet de faire ou défaire le cours de l’action. Mais cette fois de nouveaux venus, des petits boursicoteurs réunis sur un réseau social, ont mis à terre les pros en soutenant massivement la société de jeux vidéo dont l’action a été multipliée par 27 en moins d’un an. Pendant ce temps, le fonds d’investissement Melvin Capital Management perdait 15 % de sa valeur.

Pour pousser l’analogie plus au fond, il est à noter que les journaux spécialisés ont qualifié cet afflux de nouveaux investisseurs de « fronde », et que leur action a eu un effet démultiplicateur de levier, battant les spéculateurs à leur propre jeu. Ces liquidités nouvelles seraient largement liées à la crise sanitaire qui a mis l’économie mondiale à l’arrêt. Les fonds se seraient portés en partie sur la Bourse avec des « joueurs de poker » qui ne respectent pas les règles habituelles. On ne pourrait que se réjouir de voir pour une fois les spéculateurs, représentés dans les BD avec leur gros cigare, leur costume trois-pièces et leur haut-de-forme à huit reflets, mordre la poussière, si le fond de la question des inégalités n’en ressortait pas intact. Car cette crise mondiale, autant économique que sanitaire, n’a fait que confirmer les disparités entre les pays et les individus qui les composent, quand elle ne les a pas aggravées. Les riches du monde d’avant sont désormais encore plus riches, et les pauvres plus pauvres. Et David n’y a rien changé.