Un prépuce d’état

Qui aurait pu imaginer qu’une blague, de mon point de vue plutôt médiocre, s’inviterait dans un débat national sur la liberté de la presse et le droit imprescriptible à l’humour, fût-il subjectivement douteux ? Il faut remonter au mois d’octobre dernier, après les attentats commis par le Hamas contre des civils israéliens pour trouver la chronique par laquelle le scandale est arrivé. Sur l’antenne de France Inter, l’humoriste maison Guillaume Meurice, comparait alors le 1er ministre israélien à « un nazi sans prépuce ». Cette sortie lui valait alors un avertissement de sa chaîne, elle-même sous le coup d’une sanction éventuelle par le gendarme de l’audiovisuel, l’Arcom.

L’affaire aurait pu en rester là si Guillaume Meurice n’avait pas jugé utile d’enfoncer le clou en prenant argument de la décision de justice intervenue récemment qui ne juge pas qu’il y ait matière à des poursuites. Et l’humoriste de répéter sa blague, fort de son bon droit, en toute naïveté ou par pure provocation, qui est quand même la marque de fabrique de l’humour. Ce qui lui vaudra une suspension immédiate de l’antenne et une convocation à un entretien avec la direction qui ressemble furieusement à celui qui précède légalement un licenciement. Une procédure que justifiera la ministre de la Culture, Rachida Dati, par une formule qui en dit long : « Radio-France ne pouvait pas ne pas réagir ». La ministre semble prendre acte que la direction n’avait pas d’autre choix que de sanctionner la liberté d’expression. Alors qu’il lui aurait suffi de ne pas reconduire le chroniqueur dans ses fonctions à la fin de son contrat, si l’on considère comme légitime qu’une ligne éditoriale s’impose à tous ceux qui travaillent pour un média.

Il fut un temps, pas si lointain, où l’indépendance des chroniqueurs, et en particulier les humoristes, était une qualité première et permettait à certaines chaînes de se démarquer de la concurrence en poussant le rire dans ses derniers retranchements. Quand Pierre Desproges insinuait d’un ton mielleux « on me dit que des Juifs se seraient faufilés dans la salle », le public n’y voyait pas la moindre ambiguïté et ne le soupçonnait en aucune façon d’antisémitisme primaire. Quant aux autres, ils se contentaient de ne pas aller à ses spectacles et les vaches étaient bien gardées. Si Guillaume Meurice a pu choquer la sensibilité de certains auditeurs du service public, c’est quotidiennement qu’il faut subir les discours très peu humoristiques, ou alors à l’insu du plein gré de leurs auteurs, notamment sur des théories économiques destinées à justifier le statu quo social et la pérennité des privilèges. Dominique Seux, par exemple, est payé tout comme Guillaume Meurice sur les deniers publics, et il bénéficie d’une liberté d’opinion et d’expression sans limite de son employeur.