La règle du « je »

Un peu de grammaire et de conjugaison aujourd’hui. Ça ne peut pas faire de mal. J’ai mis un moment à comprendre ce qui me chiffonnait dans le tweet présidentiel destiné à soutenir le moral des troupes en attendant un possible reconfinement, provisoirement écarté. Pour ne pas être taxé de parti-pris, je cite in extenso les 137 caractères qui le composent, suivant en cela une contrainte technique ancienne désormais inutile : « J’ai confiance en nous. Les heures que nous vivons sont cruciales. Faisons tout pour freiner l’épidémie ensemble. »

Le président dit « je », ce qui est bien normal à la place qu’il occupe, mais pour s’inclure immédiatement dans un « nous » qui est supposé englober tous les Français, enrôlés malgré eux dans un combat qu’ils n’ont pas choisi. Il aurait pu dire légitimement qu’il avait confiance en lui, parfois à l’excès d’ailleurs, ou que les Français dans leur ensemble devaient avoir confiance en eux. Mais ce mélange des conjugaisons, qui semble révéler aussi un mélange des genres, me parait tout simplement fautif, comme pourrait le lui faire remarquer son épouse, ancienne prof de français. Il aurait été plus simple, et conforme à la vérité, qu’il employât le « nous de majesté », car, « le roi dit : nous voulons ».

En trois phrases, Emmanuel Macron passe de l’incantation au conseil en forme d’ordre, trahissant une difficulté à trouver sa place quand Jupiter veut se mêler à la plèbe. Une impression renforcée par la stratégie adoptée par le président, qui a envoyé au casse-pipe le Premier ministre, visiblement embarrassé, pour dicter ses ordres, qui consistent principalement à ne rien changer et à manifester une empathie qu’il est bien incapable de transmettre alors qu’il ne l’éprouve pas. Le discours de Jean Castex n’échappait pas à l’ambigüité du tweet présidentiel. Lui aussi utilisait le « nous », mais il ne désignait pas toujours la même entité. « Nous devons tout faire pour respecter ces règles… gestes barrières, masque, test et isolement… », ce sont les Français dans leur ensemble, tandis que : « nous avons accéléré la vaccination… », il s’agit du gouvernement. Si bien qu’on ne sait plus qui est qui quand il conclut : « Notre devoir est de tout mettre en œuvre pour éviter un nouveau confinement… »

Pourtant, dans le discours, il est essentiel de savoir à quelle personne l’on parle, 1ére 2e ou 3e personne, et à qui l’on s’adresse. Si le vous est de politesse, ou s’il marque un pluriel. Si l’on peut se tutoyer, comme le suggérait un militant à François Mitterrand, qui répondait froidement : « si vous voulez », ou se vouvoyer. Sans cette clarification, la France en serait réduite à chanter, comme dans son hymne national, « marchons, marchons » tout en faisant du sur place dans une feinte unanimité.