Imprescriptibilité

Le mot lui-même est presque imprononçable, comme pour rappeler que la prescription est la règle, et l’imprescriptibilité l’exception. Dans notre droit, seuls les crimes contre l’humanité font partie de cette catégorie. Le livre de Camille Kouchner sur l’inceste subi par son frère jumeau vient réactiver le débat sur le délai de prescription pour ce crime si particulier, où la manifestation de la vérité intervient souvent beaucoup plus tardivement que dans le droit commun. C’est la raison pour laquelle le délai avant le dépôt de plainte a été porté à 30 ans à compter de la majorité de la victime.

Pour certains, dont je suis, ce délai se révèle trop court et aboutit souvent à l’extinction de l’action de la justice, ce qui a pour corollaire de ne pas reconnaître aux personnes lésées le statut de victime et leur bon droit, ce qui est une étape nécessaire, bien qu’insuffisante, dans leur reconstruction. Par ailleurs, il introduit une disparité dans le traitement des plaignants potentiels. Les prédateurs sexuels ont souvent une « carrière » étalée dans le temps, et seules les victimes les plus récentes pourraient obtenir réparation, tandis que les plus anciennes seraient exclues de la procédure, sans aucune justification sérieuse. Si l’on peut comprendre le législateur, qui a voulu que les crimes commis contre l’espèce humaine ne puissent jamais être absous, les crimes sexuels perpétrés sur des enfants, a fortiori de sa propre famille, ne sont pas moins inexcusables et ne soulèvent pas moins d’indignation, à juste titre. Le quantum de la peine encourue est un autre débat, avec lequel il ne convient pas de le mêler, au risque de laisser la vengeance envahir les prétoires. Les criminels les plus endurcis, y compris les auteurs de meurtres ou de traitements barbares, ont droit à des procès équitables et se voir attribuer une possibilité de réparation, voire de rachat, dans la mesure où c’est possible. Du moins doivent-ils répondre de leurs actes.

À bien y réfléchir, c’est la notion même de prescription qui doit être interrogée. Au nom de quoi devrait-on donner une prime à celui qui, par chance ou par ingéniosité, a réussi à retarder suffisamment le cours de la justice pour échapper à la sanction prévue par la loi ? Ne serait-il pas plus simple, et surtout plus juste, de poursuivre tout délinquant, quelle que soit l’ancienneté de l’infraction ? S’il est choquant de constater que la justice ne s’exerce que très longtemps après les faits dans nombre de cas, quand la défense est suffisamment habile pour utiliser la totalité des recours possibles, c’est déjà mieux que de consacrer l’impunité, « à l’ancienneté ». Libre ensuite au tribunal d’apprécier au cas par cas, si une forme de correctif lié au recul du temps peut s’exercer.

Commentaires  

#1 Josette 19-01-2021 11:34
Tout à fait d'accord. Si on veut que le mot justice reprenne toute sa signification, la notion de prescription ne devrait pas exister, c'est la procédure de jugement qui devrait primer, quelle que soit la date où les faits se sont produits.
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