Pauvres de nous

Par ces temps de crise économique, le gouvernement n’arrête pas de courir derrière les manques à gagner provoqués par l’épidémie, directement avec une baisse très importante de la consommation, ou indirectement avec les nécessaires mesures sanitaires pour tenter de freiner la propagation du virus. Toutes les catégories sociales sont touchées, chacun essaie de s’en sortir et demande pour cela une aide de l’état. Le ministre de l’Économie a le carnet de chèques à la main, et même s’il a toujours un coup de retard, s’efforce d’éteindre les feux au fur et à mesure de leur propagation.

Tout se passe comme si les autorités de notre pays considéraient que les différentes professions avaient acquis une sorte de droit à conserver la plus grande partie de leurs revenus, et que l’état leur « devait » une compensation pour les restrictions de liberté qu’il est amené à leur imposer, le couvre-feu étendu aujourd’hui, comme le confinement hier. Ce faisant, elles limitent les dégâts, mais laissent intactes ou aggravent les inégalités sociales. Et ce ne sont pas les quelques euros octroyés aux bénéficiaires du RSA ou de l’APL qui vont durablement modifier les grands déséquilibres sociaux, même s’ils sont toujours les bienvenus. On voit bien que la planche à billets tourne à la fois pour les grosses entreprises et les plus pauvres d’entre nous, mais les masses financières en présence sont sans commune mesure, des milliards dans un cas, des millions, au mieux, dans l’autre.

C’est que les dirigeants n’ont toujours pas compris ce qui paraît pourtant comme une évidence : pour faire sortir les gens de leur pauvreté, il faut leur donner de l’argent. Or, cet argent, nous l’avons. Ou du moins nous pouvons l’emprunter à faible coût. Ce qui manque, c’est la volonté politique. Les grands bourgeois qui nous dirigent semblent persuadés que donner de l’argent aux plus pauvres serait contreproductif en les dissuadant de travailler. C’est peut-être vrai pour une infime minorité qui « profiterait » du système, mais est démenti par toutes les expériences sociales du type « territoires zéro chômeur » qui démontrent leur efficacité chaque fois que les collectivités veulent bien jouer le jeu. Nous restons fortement influencés par une idéologie dépassée basée sur la charité et non la solidarité, comme une résurgence des dames patronnesses d’antan. On ne veut pas donner d’argent au mendiant de peur qu’il le dépense pour boire ni au sans-emploi qui s’achèterait un smartphone dont les bonnes âmes estiment qu’il n’a pas besoin. Et si cette crise, qui semble partie pour durer des mois voire des années, était un formidable levier de redistribution des richesses ? Une occasion historique de corriger un tant soit peu les énormes inégalités qui n’ont cessé de se creuser génération après génération ?