Carton rouge

Interrogé sur une chaine d’information continue, Gérald Darmanin a cru bon de donner son opinion personnelle sur l’existence de rayons « communautaires » dans les grandes surfaces, se déclarant « choqué » par leur présence. En clair, il vise évidemment les rayons halal, destinés à une population musulmane, et pour faire semblant d’être objectif, les rayons casher, pour la population juive. Je note au passage que pour des raisons qui m’échappent, Gérald Darmanin ne semble voir aucun inconvénient à ce que ces communautés aillent se fournir dans des magasins spécialisés, entièrement dédiés à cette clientèle.

Nous voilà rassurés. Mr Darmanin n’oblige pas les fidèles à choisir entre les prescriptions de leur foi et le respect de son estimable opinion. À vrai dire, le citoyen Darmanin est libre de penser ce qu’il veut, de même que je suis libre de trouver ses arrière-pensées démagogiques et électoralistes. Là où cela se corse, c’est quand on s’aperçoit qu’il est impossible de dissocier le citoyen et le ministre, qui plus est quand celui-ci possède le contrôle des cultes dans ses attributions. Une responsabilité qu’il a prise très au sérieux dès son entrée en fonction, multipliant les démarches et les prises de position, tout à fait officielles, celles-là, pour dénoncer « l’islam politique » tout en soutenant pêle-mêle musulmans, juifs, chrétiens… L’opposition a reproché à Gérald Darmanin sa maladresse, estimant qu’il aurait dû y réfléchir à deux fois avant de délivrer cette remarque parfaitement inutile et sans rapport avec le sujet de l’interview. Quant au gouvernement, il a purement et simplement désavoué le ministre de l’Intérieur par la voix de son porte-parole, estimant la question complètement subsidiaire et subalterne.

Ce que ne semble pas voir Gérald Darmanin, c’est que sa déclaration, qui prétend dénoncer le communautarisme qui serait, selon lui, encouragé par des pratiques commerciales douteuses, est en réalité le révélateur d’une intolérance viscérale qui entraîne mécaniquement un repli communautaire en amenant les musulmans à développer des filières séparées et à organiser un circuit spécialisé pour respecter les pratiques exigées par leur croyance. Il les renvoie dans leurs ghettos, tolérés tant qu’on ne les voit pas trop, plus faciles à désigner et à fermer en cas de besoin. On s’aperçoit que la vague de terrorisme qui s’est abattue de nouveau sur notre pays sert de prétexte à réactiver de vieilles lunes de la part de « responsables » politiques prêts à tout. On évoque la fin de l’anonymat sur Internet, alors que les protagonistes de l’assassinat de Samuel Paty sont parfaitement connus et identifiés. On reparle des signes religieux dans l’espace public. On brandit la menace d’utiliser des lois et des tribunaux d’exception quand l’arsenal juridique permet déjà beaucoup et sans doute suffisamment sans devoir recourir à des pratiques liberticides. Bref, je réclame un carton rouge à l’égard de ceux qui ont rouvert la boîte de Pandore, comme le ministre de l’Intérieur.