Décorations

Un hommage national sera rendu ce soir à Samuel Paty, le professeur sauvagement assassiné à Conflans-Sainte-Honorine. La cérémonie se déroulera à la Sorbonne, en présence du chef de l’état, et tous les honneurs seront rendus à la victime de la barbarie et de la folie d’un geste commis au nom d’une religion dévoyée. En particulier, il recevra à titre posthume la Légion d’honneur et sera promu dans l’ordre des palmes académiques, une distinction spécifique au corps enseignant. Je trouve cela à la fois normal et dérisoire.

Normal, parce que ce professeur fait partie des héros du quotidien, ceux qui font leur travail, et plutôt bien, sans en attendre une reconnaissance particulière, et qui se trouvent pris dans un engrenage qui les dépasse. Comme d’autres serviteurs de l’état, soignants, pompiers ou policiers, pour ne citer qu’eux, ils se retrouvent en première ligne. Certains sont seulement victimes de la malchance de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. D’autres, comme le Colonel Beltrame, prennent consciemment le risque de s’exposer et d’engager leur propre vie pour tenter de sauver celle d’autres personnes. Samuel Paty a fait preuve d’un courage à la fois ordinaire et extraordinaire. Il semblait conscient que le sujet des caricatures de Mahomet pouvait heurter des consciences, mais je ne pense pas qu’il pouvait imaginer la folie meurtrière qui allait le frapper, lui, spécifiquement, même si le procès des attentats de Charlie et de l’hyper casher ravive en ce moment les souvenirs et les douleurs des victimes du terrorisme.

En traitant le sujet de la liberté de conscience et de la liberté d’opinion, Samuel Paty ne pensait faire que son devoir, celui d’éveiller le sens critique, de comprendre et respecter le principe de laïcité de l’état, de transmettre les valeurs républicaines sur lesquelles notre pays se fonde. On a souvent utilisé de manière péjorative l’expression de « hussards noirs de la république » pour désigner ces enseignants de la 3e république, chargés de mettre en œuvre l’école publique, obligatoire, laïque et gratuite, voulue par Jules Ferry. Ils ont pourtant leurs lettres de noblesse, avec leurs idéaux démocratiques d’accès égal pour tous à la culture et au savoir. L’hommage à Samuel Paty, s’il rend justice symboliquement aux « petits, aux obscurs, aux sans-grade » qui forment les gros bataillons des serviteurs de l’état, ne remplacera pas une revalorisation à la fois morale et pécuniaire, toujours promise, toujours reportée aux calendes, à l’image de ce « Ségur de la Santé », cette montagne qui a accouché d’une souris, laissant les personnels sur leur faim. Le temps où l’instituteur était un notable du village, cumulant souvent l’enseignement et le secrétariat de mairie, quand il n’était pas élu lui-même, est révolu, et c’est peut-être un bien. Il reste à lui prouver son utilité sociale et la reconnaissance de son travail par une rémunération convenable. Faute de quoi, les hommages resteront purement décoratifs.