L’audience à tout prix

La télévision n’est plus le média incontournable qu’elle a pu être par le passé, notamment pour les jeunes qui ont adopté des comportements de consommation à la demande, qui regardent moins et surtout autrement. Cependant, la grand-messe du 20 heures fait de la résistance, et la tranche horaire qui précède les grands journaux télévisés est l’objet de toutes les convoitises pour tenter de capter le marché publicitaire afférent. Pour y parvenir, il faut des têtes de gondole, des personnages forts en gueule de préférence.

Dans le genre, Cyril Hanouna et ses potacheries souvent en dessous de la ceinture et au-delà de la ligne jaune, a longtemps tenu la corde. Il est concurrencé par le « gentil » Yann Barthès et son « Quotidien » qui a repris le flambeau des talk-shows de Canal plus, sabordés par son propriétaire, Vincent Bolloré. Pour tirer son épingle du jeu, la filiale de canal plus, CNews, est allée chercher Christine Kelly, une journaliste, ancienne membre du CSA, qui coche beaucoup de cases pour drainer diverses catégories du public télévisuel. Professionnelle reconnue et respectée, une femme, issue d’une « minorité visible » du fait de sa couleur de peau et originaire de l’outremer, la Guadeloupe en l’occurrence. Elle anime donc une émission sur l’actualité, « Face à l’info », et la chaîne a cru bon de lui adjoindre le polémiste Éric Zemmour, dans le but évident de créer du « buzz » autour de l’émission. Comme c’était à prévoir, il n’a pas tardé à déraper. Lui qui a déjà été condamné plusieurs fois pour incitation à la discrimination raciale et provocation à la haine raciale s’est empressé de faire un amalgame haineux contre les mineurs isolés arrivés en France en les traitant de voleurs, d’assassins et de violeurs, en bloc, sans exception.

Éric Zemmour sera poursuivi pour ses propos, comme le prévoit la loi. Il sera peut-être condamné, mais au nom d’une liberté d’expression dévoyée, il pourra continuer impunément ou presque à vomir ses tombereaux d’insultes et de mensonges à connotations racistes. La chaîne en est la première coupable. L’émission était enregistrée et Éric Zemmour y apparait avec le statut ambigu d’éditorialiste maison, présenté comme un expert indépendant, qu’il n’est pas, à l’évidence. La direction pouvait aisément refuser de diffuser le passage incriminé. Elle aurait pu, pour commencer, se passer des services d’un personnage aussi controversé, aussi partial et aussi peu intéressant. Elle s’est rendue complice en laissant passer des propos racistes, car je rappelle que le racisme n’est pas une opinion, mais un délit. Quant à la caution antiraciste supposée de Christine Kelly, elle est loin de contrebalancer l’effet dévastateur du poison instillé par Zemmour, quand elle se contente de protester mollement en se désolidarisant des propos de ce chroniqueur, qui ne reflètent que son point de vue. C’est un peu court.