Faux amis

Alors qu’en France nous ne savons toujours pas s’il y aura des primaires à gauche et si oui avec quels candidats, le processus est lancé aux États-Unis, où les premiers caucus se sont déroulés dans l’Iowa et où les électeurs des deux grands partis se préparent à voter dans un autre état clé, le New Hampshire. Côté républicain, le favori des sondages, Donald Trump, a connu un premier revers en ne terminant que 2e, ce qui fait désordre pour quelqu’un qui traite tous les autres de « losers ». Mais la plus grosse surprise vient du camp démocrate où l’on pensait que les primaires ne seraient qu’une formalité pour l’ancienne première dame, Hillary Clinton.

Non seulement elle n’a emporté l’Iowa que d’extrême justesse, mais c’est son challenger, Bernie Sanders, qui est donné gagnant dans le New Hampshire. Ce politicien de 74 ans, sénateur du Vermont, a longtemps été catalogué « indépendant », ce que nous traduirions en France par « sans étiquette » ou divers gauche, et se revendique comme socialiste, ce qui, aux États-Unis, est presque une injure, et le classe là-bas parmi les extrémistes quand il serait ici social-démocrate. C’est que le vocabulaire est empli de faux amis, de chausse-trapes, surtout dans le domaine politique. Quand on dit en France d’un politicien qu’il est libéral, on signifie généralement qu’il prône l’économie libérale, celle qui suit la loi du marché, et qu’il refuse l’intervention de l’état, une position globalement de droite, donc. Aux États-Unis, il s’agira au contraire d’un progressiste, qui défend les valeurs sociales, et pour la culture du pays, quelqu’un de très à gauche, maniant des concepts dangereux pour l’ordre social. Un socialiste, de son côté, n’est guère différent d’un communiste, c’est-à-dire l’incarnation du mal absolu, celui qui est prêt à trahir son pays pour qu’il tombe sous la coupe d’une puissance étrangère, la Russie en ce moment et l’URSS du temps de la guerre froide.

Bernie Sanders aurait donc passé un sale quart d’heure du temps du sénateur McCarthy et de sa commission des activités antiaméricaines. La révolution qu’il appelle de ses vœux est pourtant toute relative, mais elle tranche sur les programmes de ses concurrents. Il s’est acquis les faveurs des étudiants en proposant de rendre gratuites les universités en taxant la spéculation, et il voudrait prendre des mesures plus sociales en faveur des plus pauvres, mais aussi des classes moyennes. Interrogé par le petit journal, les aléas de la traduction ont amené son entourage à revendiquer le terme de populisme, quand il voulait probablement parler de popularité. Traduction, trahison, ou lapsus révélateur ?