Le pacte

C’est aujourd’hui que les enseignants se retrouvent officiellement dans leurs établissements respectifs, pour mettre en place avec leurs collègues les aspects collectifs de la rentrée scolaire. Individuellement, chacun a déjà préparé son travail de l’année et va essayer de donner le meilleur de lui-même pour la réussite des élèves. Une nouveauté cette année avec la distribution prévue de prospectus en quadrichromie aux professeurs pour les inciter à signer un pacte avec leur employeur afin d’exécuter des missions supplémentaires en échange d’une meilleure rémunération. Cette nouvelle version du « travailler plus pour gagner plus » institué par Nicolas Sarkozy pour contourner la faiblesse des salaires, ne semble pas faire l’unanimité, sinon contre elle.

Le nouveau ministre de l’Éducation, Gabriel Attal, le reconnait lui-même, d’autant plus facilement qu’il a hérité de ce bébé bien encombrant : « la fusée est partie de travers ». Pour être opérationnel, le dispositif doit « recruter » environ 30 % des enseignants sur la base du volontariat. On en serait à 10 % au mieux, à la veille de la rentrée. Cette disposition, qui devrait permettre notamment de remplacer les congés de courte durée, souffre d’un péché originel. Elle est présentée au milieu d’un ensemble disparate de mesures mises bout à bout pour vanter une revalorisation de la rémunération des enseignants. On mélange les « missions supplémentaires » rémunérées, l’augmentation du point d’indice de tous les fonctionnaires, et la revalorisation des bas salaires, pour faire apparaître un progrès global, alors que les enseignants des pays européens comparables sont toujours bien mieux payés que les Français. Ce qui ne passe pas : ce soupçon permanent que les profs ont trop de vacances et qu’ils ne travaillent pas assez, alors que le temps de travail moyen est de 43 heures par semaine, selon le ministère, et beaucoup plus pour les débutants.

Il est probable aussi que la terminologie n’aide pas. Pour beaucoup, le pacte évoque immédiatement celui qu’aurait passé Faust avec le diable, par lequel il aurait acquis la fortune en échange de son âme éternelle. Autrement dit, un jeu de dupe, dans lequel on perd ses valeurs spirituelles pour obtenir un certain avantage matériel. Le verbe pactiser n’a d’ailleurs pas meilleure presse. Ce dispositif ne semble destiné qu’à éviter de payer une rémunération digne aux serviteurs de l’état, sans l’assortir de conditions laissant le doute sur la motivation des enseignants. Lorsque j’ai commencé ma « carrière » dans les années 60, il existait dans certaines communes, dont celle de Nantes, un service facultatif pour les élèves dont les parents ne pouvaient pas les récupérer à la sortie des cours. Ce temps dit d’étude permettait aux élèves de faire leurs devoirs, et il était surveillé, soit par les instituteurs volontaires, soit par des contractuels, moyennant rémunération. Comme la plupart de mes collègues, j’ai eu recours un temps à ce salaire complémentaire, et je l’ai abandonné dès que mes moyens me l’ont permis.