Le corps du roi

Selon certaines thèses, il serait nécessaire de distinguer deux corps du Roi. D’une part, le corps immortel, lié à sa fonction, et qui ne meurt jamais vraiment, ce qui permet au bon peuple de s’écrier : « le roi est mort, vive le roi » et de continuer à vénérer le monarque, même s’il a changé d’apparence physique. Il célèbre ainsi la pérennité de la fonction. Par ailleurs, le souverain est tributaire d’une apparence, d’une dépouille, qui subit des ans l’irréparable outrage et ne peut espérer se perpétuer qu’en quittant sa défroque provisoire.

Nous n’avons plus de roi en exercice en France depuis la Révolution, si l’on néglige les tentatives de rétablissement de la royauté, qui se sont fait jour sporadiquement. Cependant, les Français, bien que peu nombreux à œuvrer activement pour la restauration de la monarchie, sont prompts à s’intéresser aux familles royales étrangères, et l’on a coutume de dire qu’ils se sont dotés d’un monarque républicain pour diriger le pays. C’est dans ce contexte qu’il convient d’examiner l’incident qui a émaillé le spectacle donné par Izia Higelin récemment, et au cours duquel elle s’est lancée dans une improvisation échevelée où elle imaginait la foule s’en prenant à Emmanuel Macron et le lynchant dans une sorte de happening hors de contrôle. Pour certains élus LR ou Renaissance, c’en était trop. Ils prenaient cette tirade au pied de la lettre comme un appel au meurtre et une incitation à la violence. À mon avis, il s’agissait d’une métaphore, sans doute un peu poussée, qui s’en prenait au corps du président, certes, mais dans sa dépouille humaine, en feignant de croire qu’elle attaquait la fonction.

Il est vrai que le président de la République ne se prive jamais de changer de casquette selon ce qui l’arrange le plus sur le moment. Est-il mis en difficulté par un simple citoyen qu’il n’arrive pas à convaincre, qu’il remet immédiatement son costume de président en usant et en abusant de son statut social, prêt à fraterniser à nouveau si nécessaire pour jouer sur les deux tableaux. Ce sont dans des moments comme celui-là que les deux corps, privilège de son statut, lui sont le plus utiles. Izia Higelin, qui a hérité de son père un esprit frondeur et un franc-parler pouvant lui attirer des ennuis, en sera quitte pour faire amende honorable, car je doute qu’aucun magistrat, surtout en l’absence de toute plainte, pousse le zèle jusqu’à poursuivre la chanteuse devant un tribunal. S’il veut paraître « cool », comme il l’aime le faire, le président devrait lui aussi laisser tomber.