L’article de la mort qui tue

Ou devrais-je dire les articles ? Car les débats au parlement sur la réforme des retraites, voulue par le président, et bientôt par lui seul, sont rythmés par le recours à des articles de la Constitution inconnus pour la plupart du grand public, dont le principal et même unique intérêt est de permettre d’escamoter le débat et de rejeter par avance toute modification des textes qui ne serait pas agréé par le gouvernement. Le but avoué du jeu, c’est de réduire les discussions à peau de chagrin, et cela trahit une fébrilité de l’exécutif, beaucoup moins serein que l’image qu’il tente de donner. Il sait qu’il a déjà perdu la bataille de l’opinion, que le conflit laissera des traces, et que même l’issue finale n’est pas garantie.

Pour tenter de verrouiller les discussions, le président s’est lancé une sorte de défi, basé sur la célèbre formule : « pile, tu perds, et face, je gagne ». À chaque étape, le pouvoir fait semblant de négocier. Selon Emmanuel Macron, le temps de la concertation est passé. Si quelqu’un a vu une disposition en faveur des salariés, issue des rencontres bilatérales avec les syndicats, qu’il se fasse connaître. C’est donc désormais le temps parlementaire, mais le plus court possible, grâce à la procédure d’examen accéléré de l’article 47.1 de la Constitution. Tout doit être bouclé en 50 jours maxi. Même ainsi, il a fallu recourir à un article du règlement du Sénat pour abréger les débats, un pour, un contre, et au suivant, pour bâcler l’examen des amendements, et cerise sur le gâteau, pour finir au pas de charge avant dimanche soir, le vote bloqué dû à l’utilisation des articles 44.2 et 44.3 permettant d’expédier la totalité des textes en une seule fois en ne retenant que les amendements validés par le gouvernement.

Après cette parodie de démocratie parlementaire, il ne restera plus qu’à soumettre au vote de l’Assemblée nationale un texte conforme aux vœux du président. Et c’est à ce moment que tout se joue. Soit la droite parlementaire et le parti d’Emmanuel Macron votent comme un seul homme et comme de bons petits soldats sacrifiés sur le front de la casse sociale, et leurs électeurs sauront s’en souvenir, soit des défections suffisamment nombreuses mettent la réforme en péril et la Première ministre utilisera pour la énième fois l’article 49.3 qui lui permet de s’assoir sur l’avis de la représentation nationale. Elle n’est pas belle la vie ? Je veux dire pour ceux qui ont du pouvoir d’achat et un travail à la fois rémunérateur, épanouissant, et pas trop usant pour tenir au-delà de 60 ans ? Par exemple, rédacteur de Constitution, un métier où il faut beaucoup d’imagination pour prévoir ce qui permet l’exercice de la démocratie, et aussi comment s’en dispenser.