Cuti-réaction

Dans un temps que les moins de vingt ans, que dis-je, de soixante ans, ne peuvent pas connaître, le dépistage de la tuberculose passait par une procédure de test consistant à inoculer une dose atténuée de la maladie par scarification, généralement en haut du bras, afin d’observer la réaction cutanée de l’organisme, déclarée positive en cas d’inflammation. La tuberculose a, fort heureusement, presque disparu dans les pays développés, et avec elle la pratique du dépistage systématique, mais l’expression « virer sa cuti » est restée pour évoquer un changement radical d’attitude sur un sujet quelconque. Il me parait s’appliquer judicieusement au changement de pied d’Emmanuel Macron vis-à-vis de Vladimir Poutine.

Souvenons-nous. Il y a peu le président français s’obstinait à vouloir conserver de bonnes relations avec le dirigeant russe, quitte à mécontenter et se rendre incompréhensible de la communauté ukrainienne, sous prétexte qu’il ne fallait pas, selon lui, « humilier la Russie », comme s’il en avait le pouvoir. Et voilà qu’au cours de son déplacement en Afrique, Emmanuel Macron appelle un chat un chat, dit pis que pendre des intentions intéressées de la Russie et appelle les dirigeants et les peuples africains à se méfier des offres de service de Vladimir Poutine. Dans une version modernisée des aventures de Tintin au Congo, Manu a dénoncé les « carabistouilles » russes visant à séduire les Africains, en leur offrant des services, tels que l’utilisation de la force Wagner pour mater leurs oppositions. Il y a d’ailleurs un certain humour involontaire à dénoncer une attitude russe à la fois colonialiste et impérialiste auprès de pays qui ont subi l’occupation et le pillage de leurs ressources de la part de grandes puissances et notamment la France. Emmanuel Macron reproche à la Russie d’avoir repris le flambeau colonial, et se sent donc obligé de proposer un nouvel inventaire de la présence française sur le continent africain.

Mieux vaut tard que jamais et la prise de conscience du président français serait de nature à faire progresser la cause, si elle avait été plus précoce, et mieux partagée. Il aurait été possible de dissuader Poutine d’attaquer l’Ukraine en lui montrant dès le début une fermeté et un front uni, qui ont cruellement fait défaut jusqu’à présent. Emmanuel Macron a contribué au flou artistique de la diplomatie occidentale en maintenant contre vents et marées un dialogue sans la moindre efficacité avec l’autocrate russe. Il choisit brusquement de rompre les discussions, au moment même où la diplomatie américaine avertit solennellement la Russie qu’elle est vigilante, et qu’elle ne la laissera pas faire ce qu’elle projette. Pendant ce temps, Macron s’efforce de contrebalancer l’influence russe auprès des Africains, mais avec de faibles chances d’y parvenir.